Cher journal,
A l'heure où j'écris ces quelques lignes, ma vie a, encore une fois, viré de bord -cela devient une habitude assez ennuyeuse, à force. Après une tentative d'empoisonnement, déjouée par ma ruse, bien entendu, diverses manipulations et un coup de chance phénoménal, je me retrouve à la tête de la Ligue Commerciale du Nord, comme au bon vieux temps. Cela fait, je m'évertuais à redresser ce qui se délabrait, amenait du sang neuf dans ce corps malade, de l'or frais dans les caisses vides et de la joie dans la triste Lorgol. Cela fait, j'apportais de saines occupations à mes nouveaux associés -défier un Elu Divin de Garagos, par exemple. Bien que le fin mot de l'histoire soit autre, je préfère, pour la postérité, garder mes petits secrets quant à cette affaire où notre héroïsme fut démontré à de moult reprises. Le commerce marche bien, et malgré quelques petits tracas, comme le sort qui pourrait attendre mon Commandant improvisé, tout se passe pour le mieux. J'attend la fin de l'inventaire de Caer Dineval avec impatience : un superbe comptoir serait du plus bel effet, là-bas.
Le monde suit son cours ; quelques escarmouches orques par-ci, quelques ennuis à Luskan par-là, des expéditions ratées chez les autres, des expéditions réussies dans la Ligue. Bien qu'étant occupé en ce moment, je peux déjà imaginer la foule d'activités nous attendant quand j'aurais terminé les formalités administratives.
Mon flair, infaillible, s'il en est, m'indique qu'une guerre pointe le bout de son nez. Guerre où? Entre qui et qui? Je ne saurais le dire, encore. Mais je le sens dans mes os, dans mes veines : ça sent le roussi. Les hommes s'ennuient rapidement, il leur faut de saines activités pour s'occuper l'esprit : guerroyer fait partie de celles-ci. Je ne m'en plaindrais pas, bien sûr : après tout, dans ma vie, qu'ai-je bien pu faire d'autre? Je me suis laissé embarquer dans ces choses dégoûtantes alors que je sortais tout juste de l'enfance et avant que je ne sois tout à fait adulte. Les plus anciens avaient des choses à quoi s'accrocher ; les plus jeunes ne faisaient pas la guerre. Moi, et les autres jeunes embarqués là-dedans, avons été emporté par ce tourbillon de sang, de haine et de violence : nul repère solide où m'accrocher, nul avenir. Une génération pour rien, une génération du feu. J'ai pourtant assez bien tiré mon épingle du jeu, et bien que bon-à-rien, je tire ma peine de façon assez confortable.
Mon loisir du moment consiste en l'éducation de jeunes fous, et d'innocentes elfettes, afin de les rendre prêt à accomplir des exploits, à apprendre la valeur du danger et de l'aventure, et à se débrouiller par eux-mêmes. C'est assez enrichissant, je dois dire.
J'attend toujours ces maudits tableaux, heureusement que je n'ai pas payé d'avance. On m'a parlé d'un autre peintre, mais son nom m'échappe. La mémoire me reviendra peut-être.