[ValidéPRC[Roublard/MDOM/Seigneur ombre][H]Aiyanna

Citation :

Nom du compte joueur forum : Ethalios
Nom du compte joueur module : _incarnat_
Nom du perso : Aiyanna
Race : Humaine
Age : 19 ans
Alignement : -
Religion : -
Classe et nombre de lvls : Roublard 10 / Guerrier 8 / MdO 7 Roublard 10 / MdO 9 / Seigneur des Ombres 6
Arme de prédilection/domaines/école de magie : - / - / -
Langues : -

Trait de Caractère : -

Description physique : d'apparence plutôt banale, Aiyanna a une peau légèrement mate caractéristique des damariens. Son nez légèrement retroussé est encadré par deux yeux bruns en amande. Ses cheveux mi-longs sont très noirs, et la plupart du temps coiffés en un chignon sophistiqué. Elle est souple et légère, de taille plutôt moyenne (1m70 environ), et a une démarche gracieuse. Elle apprécie les vêtements sophistiqués et les bijoux, à la mode damarienne.

Caractéristiques :
FOR : 8
DEX : 18
CON : 8
INT : 16
SAG : 10
CHA : 10

[BG envoyé en privé]

Evolutif, validé en privé

Départ pour Maztica la belle.

[Juste au cas où ça intéresse quelqu'un, je mets le BG public du coup. Nota juste : à la base c'est un BG de Roub / MdO / Seigneur de l'Ombre de Telflamme. D'où les pouvoirs chelous de la fin ]

Sommaire

I – L'Art de la Rue
II – Le Serment des Voleurs
III – La route vers la gloire
IV – De la Lumière a l'Ombre
V – Pas de simples voleurs
VI – Ave Tenebrae
VII – La Chute et l'Exil
VIII – Espoir
IX – Le Nord
X – Le Carnaval des Ombres
XI – Réminiscences
XII – La Cour des Miracles
XIII – La Perle du Nord
XIV – Notre Dame des Ombres
XV - L’Art et la manière …
XVI – Jaillissement des ténèbres
XVII – Un cœur de Ténèbres
XVIII – Le temps de l'innocence
XIX – L'ombre de la Mort
XX – Le rêve d'Aiyanna
XXI - Départ
XXII - La route de l'or
XXIII - Port-Heaum
XXIV - Les cinq salopards
XXV - L'Enfer vert
XXVI - La fin de l'Aventure

Appendice 1 : Pippo Brillechaussée
Appendice 2 : Mikhaïl Borislav

I – L'Art de la Rue

Vivre est une chose qui m'a longtemps été le plus profondément difficile. Je ne me souviens que vaguement d'Elle - de ma mère. Je me rappelle une dispute, des cris, une fuite ... Je n'ai jamais réellement sût ce qui leur était arrivé à tout les deux. Peut-être qu'on m'avait suivit, mais une chose était sûre, j'avais semé l'homme qui partageait la vie de ma mère dans les étroites ruelles de mon quartier. Je m'étais finalement roulée en boule dans un coin, absolument terrifiée, et sous la pluie, j'avais attendu. J'attendais qu'on vienne me chercher, j'attendais qu'on m'aide ... Et personne ne vint. Je restais seule dans cette position pendant une éternité ...

Depuis ce jour, vivre a été difficile. C'était au début que ce fut le plus dur. Je n'étais pas rentrée chez moi. Mon intuition me disait de ne pas le faire. Mourant de faim, j'errais, perdue, au milieu de la foule qui ne prêtait même pas attention a la gamine égarée que j'étais. Mes pas m'avaient menée sur une place du marché, comme elles étaient nombreuses en Telflamme. Ne tenant plus, je finis par demander du pain à un homme, qui m'aboya quelque chose au visage. Je ne sais pas trop ce que c'était ... Le prix, sans doute. N'ayant compris qu'a moitié, je pris un quignon de pain et mordis dedans. L'homme hurla, je fus giflée ...

Les jours suivants ne furent pas plus simples. Je compris vite que le monde était mauvais. Qu'on ne voulait pas que je puisse vivre. Les gens me parlaient d'une manière que je ne comprenais pas - avant, c'était ma mère qui s'occupait de tout ! ... Je m'étais résignée à comprendre le monde à ma manière. Et cette manière, c'était de me débrouiller. Je me souviens de mon premier vol – le premier qui fut réussit s'entend : ce gros balourd de boulanger qui discutait avec une grosse femme ... Je profitais simplement de son inattention, lui volait le pain tant désiré, et courrais jusqu'a une rue, a l'abri, pour le festin. De jour en jour, j'avais mis au point d'autres stratagèmes. Cela me semblait normal : j'avais faim, il fallait bien que je me serve. Au fond, cela n'était pas très différent d'avec ma mère. Sauf que là, les gens semblaient ... Moins prompts à m'offrir ce que je voulais.

Je me souviens de ma première dague. C'était durant une chaude nuit d'été, alors que j'étais à la recherche d'un abri pour la fin de la soirée. Elle traînait là, par terre! Un vrai trésor égaré ! Je la ramassais, et lui trouvais très vite une utilité. Le monde est assez bien fait : les gens ont la fâcheuse tendance a vouloir pouvoir accéder a leur argent rapidement, les gardant à leur ceinture. Trancher les cordelettes de leurs - trop lourdes - bourses était, c'est le cas de le dire, un jeu d'enfant. Ma taille me mettait exactement à la bonne hauteur. De chapardeuse, je devins coupe-bourse. Et alors, tout devint un peu plus facile.

J'appris très très vite quelques règles de base dans ce que l'on peut appeler l'art de la rue. Le plus important, c'est le sens de l'observation. Etudier les gens avant de les soulager de leur monnaie, voir si ils ont tendance à beaucoup bouger, où porte leur regard ... Et, évidemment, toujours savoir qui nous regarde ! La seconde chose la plus importante, c'est de savoir courir vite, et de connaître son environnement. Personne n'est à l’abri d'une erreur ! Et l'on construit sa connaissance sur la base de ses échecs. Savoir observer, savoir se cacher, profiter de l'ombre et de la nuit ... Connaître chaque geste a faire sur le bout des doigts ... Et finalement délester l'argent, le mettre dans sa poche, et partir ... Comme si de rien était. Car l'attitude aussi est capitale ! Il faut avoir l'air naturel en toute circonstance.

Je grandis. D'enfant, j'arrivais lentement à l'âge de la jeune fille. Trancher les bourses était plus difficile, certes. Mais du haut de mon mètre cinquante et avec mes vêtements crasseux, j'avais la chance que personne ne fasse réellement cas de ma présence. Même les jeunes hommes, c'est dire! Mais la nature - louée soit-elle - m'a gratifiée d'une apparence assez banale. J'en jouais, et l'un dans l'autre, j'arrivais à vivoter, même si je me contentais de peu. Mais finalement, le sort me rattrapa, et les choses se compliquèrent.

Je me souviens de mon premier meurtre. A présent, je me dis que c'étaient beaucoup d'histoires pour pas grand chose. L'homme m'avait repérée ... Et avait été capable de me suivre alors que je fuyais, dans l'indifférence générale de la foule. Mais alors qu'il avait finit par me rattraper, il saisit mon bras et commença à hurler à la garde. Que faire ?! J'avais paniqué. Je saisis ma dague rouillée et lui planta dans la gorge, sans réellement penser a ce que je faisais sur le moment. Alors que le sang commençait a couler et qu'il gesticulait encore, je réitérais mon geste, perçant avec difficulté sa chair. Lui hurlait ... Puis s'effondra. Des bruits. On approchait. Je fuis.

Je finis par réussir à me faufiler loin de mes poursuivants. Une fois que je fus certaine d'être en sécurité, je m'effondrais sur le sol, la dague ensanglantée laissée négligemment sur le sol devant moi, et je contemplais mes mains souillées. Des mains d'assassin. Combien de temps restais-je là a tenter de me convaincre que tout ceci n'était qu'un rêve ? Je n'en sais rien. Mais je finis par me résoudre à l'évidence. De coupe-bourse, j'étais devenu meurtrière. Et cela ne changeait rien. Si l'autre n'avait pas voulut être aussi dérangeant, il aurait vécu. Tout comme si quelqu'un avait daigné me tendre la main, je n'aurais pas volé tout ces gens ... Voila ... Voila, il ne s'agissait que d'un vol. Mais au lieu de voler un bien, j'avais volé une vie.

Mais avec ce geste, j'avais attiré l'attention.

II – Le Serment des Voleurs

La Guilde des Maîtres des Ombres régnait sur Telflamme, et Thesk en général. Une sorte d'acceptation du peuple face à ce pouvoir leur rendait la tâche facile, mais l'équilibre était léger. En effet, ils ne pouvaient se permettre de trop voler, ou alors, l'indignation risquait de surpasser l'acceptation. Pour les enfants des rues, les Maîtres des Ombres étaient des sortes de héros, des légendes. C'était parmi les orphelins qu'ils recrutaient la plupart de leurs membres, d'ailleurs. Si, après mon meurtre, la garde ne devait jamais me retrouver, pour les Seigneurs de l'Ombre, par contre, ce fut une autre affaire.

Longtemps, je me sentais épiée, il m'arrivait alors que je me baladais de m'arrêter et de me retourner, pour voir ... Une rue déserte. Je savais - ou pensais savoir - qu'on me suivait, mais je n'arrivais pas à en avoir la certitude, et cela m'agaçait. Pire encore, cela se ressentait sur mon travail ! En pleine action, alors que je m'approchais en sifflotant de ma cible, il m'arrivait d'avoir à me retourner, ou à contempler les toits ... Et à trouver une nouvelle cible. J'avais une sainte horreur de tout ceci! Ce petit manège dura jusqu'à ce qu'un jour, je me réveillais dans un endroit que je ne connaissais pas.

J'étais bâillonné, attachée, par terre dans une pièce très sombre. Autour de moi, quelques caisses, une table ... Une seule porte permettait de sortir de la pièce, une porte sans serrure. Je me débattais, essayant de défaire mes liens, sans grands succès. Finalement, une personne entrait, un halfelin. Vêtus d'une armure de cuir cloutée noire et bordeaux, il avait une épée courte à sa ceinture, et ses longs cheveux noirs étaient étrangement tressés. Il approcha de moi, se pencha en avant, me regardait dans les yeux. Je soutins son regard - au fond, je n'avais rien d'autre à faire, et je refusais de me laisser ainsi faire! Finalement, sans un mot, il m'arracha le bâillon, et s'assis en tailleur devant moi. Et il commença à m'expliquer.

Il était un Vétéran des Maîtres de l'Ombre. Il m'expliqua que cela faisait plusieurs jours qu'on me suivait. J'avais été aperçue en train de travailler par un de leurs agents, et la mort d'un marchand de passage près de l'endroit où j'opérais avait immédiatement fait penser à moi. Une poignée de voleurs, soucieux des problèmes que je pourrais causer, s'est donc penché sur mon cas. Lorsqu'un indépendant commence à devenir potentiellement dangereux pour la sécurité de la guilde, soit il est enlevé, soit il est éliminé. Ce satané halfelin avait l'air de dire que j'avais de la chance que mon cas fut dans la première catégorie. Mais au fur et a mesure que la discussion avançait, je commençais a réellement écouter ce qu'il me disait. Il me proposait autre chose que de vivre dans des masures en ruine ou dans des rues pleines de vermine. Il me proposait autre chose que les petits vols a la tire, ou les opérations de petite frappe. Tout ce que j'avais à faire, c'était passer sous ses ordres, et ma vie changerait.

Je passais sous ses ordres, et ma vie changea.

L'Art de la Rue était bien plus étendu et subtil que ce que je croyais. Après que l'on m'ait détaché, le halfelin, mon maître, pris en charge ma 'formation'. Je pensais déjà tout savoir, je me trompais. Voler, ne pas être vu des badauds était facile. Devenir une professionnelle était une autre paire de manches. On m'entraîna à crocheter des serrures, de toute taille, de toute sorte. La guilde possédait une immense pièce pleine de portes aux serrures plus ou moins complexes, pour l'entraînement des jeunes recrues. Je me pris des dards, lancés par des serrures piégées, j'eu la peau brûlée par endroits a cause de mécanismes retors. On m'apprit à reconnaître ces mécanismes, à les voir, et à les éviter. On m'apprit a bondir, a esquiver, a escalader, a faire et défaire les nœuds ... On m'enseigna l'art d'observer, et de savoir comment ne pas être observé. On fit de moi une autre femme. De l'âge de 14 à l'âge de 16 ans - environ - j'appris à faire du vol ma profession.

Alors que ma formation avait l'air d'être achevée, mon maître me fit passer devant les Seigneurs de l'Ombre, les maîtres de la guilde, disciples de Mask qui avaient tout pouvoir en Thesk. Là, on me fit prêter allégeance, je dus me soumettre au Serment des Voleurs. Car les voleurs ont un honneur, sans quoi nous ne serions pas des artistes, mais de vulgaires truands. Nous sommes une confrérie, une fraternité, nous nous devons le respect et l'entraide, mais nous devons également obéissance aux Seigneurs, tout comme nous pouvons attendre la même obéissance de nos subalternes.

"Je ne volerai pas un membre de la guilde, que ce soit pour m'approprier ses biens ou son travail.
Je n'irai jamais à l'encontre des intérêts des Seigneurs de l'Ombre, et toujours je leur obéirai.
Je respecterai la parole donnée aux autres membres, ainsi que leur travail, et en retour je recevrai le même respect.
J'éviterai d'attirer l'attention, que ce soit par le meurtre ou par des vols trop importants.
Toujours, je servirai Mask, pour que triomphent le Vol et les Ombres."

Alors, je fus membre des Voleurs de Telflamme.

III – La route vers la gloire

J'aimais le port. J'aimais cette odeur, l'odeur de la mer, et j'aimais l'horizon ... L'horizon ... La liberté ... Si les choses avaient été différentes, j'aurais peut-être eu une autre vie? Si le monde avait été plus beau ... Si les "parangons de vertus" étaient réellement ce qu'ils prétendaient être ... Si l'Injustice n'existait pas ... J'aurais été autre chose. Mère aurait été a mes côtés, et j'aurais peut-être put un jour embarquer sur un navire. J'avais entendu parler de Maztica, de ses peuples, de ses mystères ... J'aurais tant voulut admirer ces paysages par moi même ... Je réfléchissais a tout cela, assise sur le toit d'un des bâtiments encadrant les quais, regardant la lune tomber à l'horizon. Mais la solution à mes rêves était en réalité simple. Et elle était écrite dans mon serment. Seigneur de l'Ombre. Rien n'est impossible aux maîtres de la Guilde. L'iniquité avait fait ma vie. Il était normal qu'elle me rende la pareil. Un jour, je serai Ambassadrice de l'Injustice.

D'assassin je devins monte-en-l'air, de monte-en-l'air je devins cambrioleuse. Les gens gardent la plupart du temps leurs objets de valeur chez eux. De tavernes louches en bars puants, je rencontrais les indicateurs de la Guilde, et j'appris comment fonctionnaient de tels réseaux. La guilde était terriblement bien organisée, chaque branche partageant ses informations avec les autres. Un vieux boiteux dans l'auberge du Pendu qui Ricane avait l'habitude de me fournir en matériel juste avant une mission : un rossignol par ci, un diamant de vitrier par là ... C'était une des personnes de la Guilde que j'appréciais le plus, les autres n'étaient que des relations de travail. Il me parlait de ses anciens coups, et je lui parlais des miens.

Je me souviens également de mon premier cambriolage – raté, d'ailleurs. Mon mentor m'accompagnait, mais se contenta ensuite de m'observer du haut d'une maison avoisinante. Je choisis - maladroitement - de crocheter l'entrée principale, chose que l'on ne fait pratiquement jamais. Mais cette fichue serrure résista farouchement! Je tremblotais de tous mes membres, j'étais sur les nerfs, je perdais mon sang froid. Finalement, mes outils cassèrent. Par un hasard miraculeux, la porte s'ouvrit au même instant! Croyant d'abord a une réussite, je faillis hurler de joie ... Avant de déchanter en tombant nez a nez avec un homme a l'air passablement étonné de croiser une femme masquée a l'entrée de sa demeure. Avant même qu'il eut le temps de crier, je me jetais a terre et, d'un mouvement circulaire, je lui fauchais les jambes. Il s'écroula au sol, et je l'envoyais rejoindre un doux et réparateur sommeil d'un coup de pied bien placé. On n’a pas idée d'être réveillé à des heures pareilles!

Evidemment, mon mentor n’était pas satisfait de ma peu artistique première sortie. Mais les fois suivantes allaient mieux, et je commençais à réellement croire que j'avais un don pour ce métier! Entre les missions, j'allais discuter avec mon boiteux ami, qui me parlait toujours des Ombreux et du Seigneur Masqué. Il m'expliquait que les ombreux étaient des sortes d'élus au sein de la société de Telflamme, et que le prêtre local de Mask pouvait faire subir aux gens un rituel ... Il me parla aussi d'un de ses amis de la guilde, un spécialiste du racket ... Un gros bras, en somme. Et il me proposa d'aller le voir. Afin d'augmenter mes perspectives ...

Cet ami racketteur me terrifiait. C'était un rashémi énorme, ayant longtemps servit de guide à la frontière de Kara-Tur. Suite à une blessure à la jambe, il se rangea à Telflamme. Mais Mikhaïl - c'était son nom - ne s'était pas laissé aller a l'oisiveté. Sa spécialité? La 'protection'. Et je dois dire que lorsque l'on est face à cette montagne de muscle, à l'oeil gauche brûlé ... Oui, on doit réfléchir à un éventuel besoin de protection. Alors que je me retrouvais nez a nombril - puisque c'est a peu près là que j'arrivais - avec lui, il me jaugea, maugréa quelque chose comme "Puisque c'est lui qui t'envois ..." et me laissa entrer. Son 'quartier général' était un ensemble improbable de vieux souvenirs venus de Kara-Tur, de trophées de chasse divers et variés et de bibelots plus ou moins brillants. Finalement, il stoppa net devant moi et m'expédia un rude coup au visage alors que j'étais occupé a regarder une petite coupe d'argent incrustée de pierres précieuses ... Je fus littéralement soulevée de terre puis projetée au sol par la force de l'impact. Il soupira, secouant la tête, et me releva prestement.

« T-t-t ... Déjà que tu n'as pas ma carrure, essaie au moins d'avoir des réflexes ... »

Je le dévisageais un instant, et j'eu juste le temps d'éviter son coup suivant. Je compris à cet instant que les jours à venir allaient être très durs.

Les semaines passaient, et je terminais chaque soirée couverte de bleus, les articulations douloureuses. Avec le temps j'appris à ne plus craindre l'espèce de colosse qui me servait de maître et même à l'apprécier! Entre deux missions pour la guilde, je reprenais son apprentissage, et j'écoutais ses histoires, sur Kara-Tur, sur la région ... Il savait tant de choses! Et sous son aspect bourru se cachait quelqu'un de sympathique, au fond. Je lui avais parlé de mes aspirations, de ma volonté de rejoindre les Seigneurs de l'Ombre, et il avait décidé de m'aider dans cette voie. Mais très honnêtement, je n'aurais pas cru son aide si douloureuse.

Mais au fil des jours, je prenais de moins en moins de coup. Bondissant, esquivant, j'apprenais a éviter ses assauts, tant et si bien qu'il commençait a être satisfait - ho miracle! Nonobstant, les exercices ne s'arrêtèrent pas en si bon chemin. Travailler ma souplesse, mes déplacements ... Anticiper les coups de l'adversaire pour pouvoir attaquer moi même, du mieux possible ... Je supposais qu'il me préparait en fait pour que j'effectue un grand coup ... Histoire d'épater la galerie des Seigneurs de l'Ombre, qu'ils m'acceptent parmi eux. Et je crois qu'il m'entraînait bien!

Un beau matin, il m'accueillit avec son maugréement habituel, me scruta, et me mit un épais bandeau sur les yeux. Travailler mon intuition et ma capacité à anticiper les coups dans une situation de visibilité moindre. Rien que le souvenir de cette leçon m'est encore douloureux. Je me pris les premiers coups de plein fouet, virevoltant vers les vieux vases qu'il avait entreposé dans sa demeure ... Puis, au fur et a mesure du temps, je commençais à sentir sa présence, et à anticiper ses frappes – qui étaient assez peu subtiles, il faut le dire. Il déplaçait beaucoup d'air pour rien!

Après un certains temps d'entraînement, il m'ôta d'un geste le bandeau et s'éloigna de moi en grognant quelque chose. Je restais donc sur place conformément à ce que j'avais cru comprendre, et il revint avec une belle boîte de hêtre.

« Répandre la mort n'est pas ce que nous prônons. Mais il faut pouvoir se défendre. Je crois que ceci t'ira ... Ils me viennent ... D'un vieil ami ... »

Timidement, je pris la boîte, et l'ouvrit. Il y avait deux éventails dedans, un aux couleurs rouges et l'autre aux tons bleutés ... Des éventails?! Qu'était-ce donc que cette plaisanterie?! Devant mon air fortement étonné, il me demanda de les ouvrir. J'en pris un et je m'exécutais. Il faisait un bruit métallique. Un pourtour d'acier tranchant. Voila qui était intéressant!

« Je me doutais que ça te plairait. »

Je le regardais en me mordant la lèvre inférieure. Décidément, Mikhaïl avait un certain panache!

Les jours suivants furent plus orientés sur le combat que sur la survie. Je dois avouer que je n'étais pas réellement très assidue, car au fond, tuer n'était pas mon rôle. Il m'apprit à frapper, à feinter, il m'enseigna comment on maîtrise quelques armes légères, ainsi que mes chers éventails. Le soir venu, plutôt que ses vieilles aventures, il me parlait de Mask et de son clergé. Je n'ai jamais été une fanatique, mais j'écoutais ses histoires avec attention, et je le priais avant chacune de mes sorties. Mask est notre protecteur, le seigneur de tous les voleurs, et il mérite notre respect, et notre dévotion.

Puis un jour, au lieu de la leçon habituelle, il me regarda longtemps en silence, puis se leva de toute sa hauteur et maugréa un "viens" rocailleux. Un peu surprise, je le suivis dehors. De ruelles tortueuses en sombres traboules, nous finîmes devant une porte de bois pourris, permettant d'entrer dans une maison croulante. Mikhaïl saisit le cogneur et frappa plusieurs coups. On ouvrit à demi la porte, un homme risqua un regard vers les importuns que nous étions, avant de l'ouvrir entièrement et de nous faire entrer prestement. Ils échangèrent quelques mots a voix basse : il était vaguement question de paiement et de personne étant prête ... Puis nous commençâmes a passer dans divers couloirs au sol grinçant, avant de descendre un escalier.

« Nous y sommes.
- Où ça?
- A la dernière marche te menant vers ton but. »

Puis il ouvrit la porte qui nous faisait face. Quelques bancs ... Une sorte d'autel ... Des tentures de soie noire sur les murs ... Et un homme nous faisant face, vêtu d'une tunique sombre couverte de losanges, son visage caché par un masque. En fait, on aurait dit un arlequin maudit.

« Seigneur Maître ... La voila. Vous avez déjà eut le paiement, n'est ce pas? »

L'arlequin se contenta d'opiner du chef, et de désigner l'autel. Je me pressait contre Mikhaïl, et chuchotait.

« Qui est-ce?
- Le Seigneur Jalaunther Ithbreeiur. Le haut prêtre maskoriante.
- Que ... Que faisons nous là?
- Nous allons faire de toi une Ombreuse. Ce sont les plus a même de devenir ... Seigneurs de l'Ombre de Telflamme. »

Mikhaïl me poussa vers l'autel, j'avançais timidement, ne sachant plus trop quoi faire. Une ombreuse? Qu'est ce que c'est que cela?! J'avais entendu parler de personnes se liant un peu plus aux ombres grâce aux pouvoirs de notre divin seigneur ... Mais de là a le devenir moi même! ... Et cet arlequin qui me fixe, de toute la froideur de son masque de soie ... Non, je n'avais plus de choix, et pourtant ... Sur le moment ... J'avais envie de m'enfuir en courant. Je dus m'installer sur l'autel, alors que mon regard allait du Seigneur Jalaunther à Mikhaïl. J'étais totalement terrifiée. Et lui commença à incanter.

Combien de temps cela dura-t-il? Je ne saurais dire. Au court de l'incantation, la plupart des bougies - déjà bien peu nombreuses - éclairant le temple s'éteignirent comme par enchantement, livrant la pièce aux ténèbres. L'immense ombre du prêtre dansait sur le mur arrière du temple, alors que la mienne semblait se distordre et grandir ... Puis s'étendre sur moi ... J'aurais voulut me lever, mais une force me maintenait sur l'autel, alors que ma propre ombre me recouvrait entièrement. Finalement, je fus traversée d'une vive douleur, et j'eus très nettement l'impression de voir mes ténèbres entrer en moi, par les pores de ma peau. C'est a peu près à ce moment que je perdis connaissance, devant la douleur.

Je me réveillais dans un environnement familier : un lit dans les quartiers de Mikhaïl. Mes membres étaient endoloris, j'avais mal au crâne ... Je me levais avec difficulté, avant de poser un regard vitreux au mur, derrière moi. La maigre lumière de la bougie posée sur ma table de chevet projetait mon image sur celui-ci. Mon ombre se détachait très bien des autres, elle avait un contour très net, et était d'un noir d'encre. J'appelais Mikhaïl d'une voix faible, et le colosse rashémis arrivait, l'air toujours aussi peu engageant qu'au premier jour. Alors que je lui demandais ce qu'on m'avait fait, il m'expliqua ... Il m'expliqua qu'il avait terminé de m'apprendre ce qu'il avait a m'apprendre, et qu'il avait demandé l'autorisation des Seigneurs de l'Ombre pour me faire subir de Rituel de l'Ombrage ... Nombreux sont les disciples de l'organisation a le subir - a condition d'y mettre le prix ... Car les capacités octroyées en échange d'une certaine faiblesse et vulnérabilité a la lumière étaient incroyables. Je lui demandais alors pourquoi il avait fait cela.

« Pour réaliser le rêve d'Aiyanna. »

IV – De la Lumière a l'Ombre

Mikhaïl m'annonça qu'il m'avait appris tout ce qui aurait pût m'être utile. Manier les armes, esquiver les coups, combattre en situations extrêmes ... Il m'expliqua que mon vieux mentor, le halfelin, devait 'mettre un terme à ma formation'. J'errai dans les couloirs de la Guilde, les membres douloureux mais pourtant plus légers qu'auparavant. Aiyanna ... Mikhaïl m'avait vaguement parlé de sa fille, une enfant enjouée et rêveuse. Elle avait été tuée dans des circonstances plutôt obscures - ou du moins par un obscur assassin, vu qu'elle avait été égorgée. Je n'en savais guère plus ni sur le moment où ceci s'était produit, ni sur l'épouse de Mikhaïl. Mais tout ceci importait peu, finalement. Je rejoignis finalement mon ancien mentor halfelin, et lui parlait de mes récentes expériences.

« On m'a beaucoup parlé de toi ces derniers temps ... »

Devant mon apparente surprise, il eut un sourire narquois.

« J'ai moi aussi mes informateurs. Mikhaïl t'a entraîné, hmm? Il t'a appris a utiliser ta tête en combat ... Et t'a payé le Rituel de l'Ombrage ... Ma petite ombreuse ... Oui ... Tu es une petite ombreuse ... »

Il souriait de plus belle, tournant autour de moi, souriant. J'avais l'impression d'être une sorte de bête curieuse.

« Je n'ai pas eu la même chance que toi. Mikhaïl souhaite que je lui rende un service que je lui dois en t'entraînant ... Mais je ne suis pas un Ombreux. Je ne sais pas comment faire exploser ton héritage de sang. Par contre, je peux t'apprendre deux ou trois autres choses ... Qui me permettront de t'ouvrir aux secrets de mes confrères ... Aux secrets des Seigneurs ... Hmmm ... »

Il commença a me parler de généralités sur l'Ombre. Il ne savait pas réellement m'expliquer ce qu'était le rituel de l'Ombrage, mis à part qu'à présent, je possédais en moi une partie d'ombre et qu'un jour, il me faudrait l'utiliser pour accéder au dernier stade de compréhension des ombres. Les ombres sont une sorte de lien entre le plan matériel et le plan de l'Ombre – une sorte de monde se superposant au nôtre, proche et pourtant si éloigné de notre réalité. Tout en se perdant en explications bizarres, il hochait vigoureusement la tête. Il était amusant. Minuscule et pourtant, a sa manière de croiser les bras et a son ton sûr de lui, on l'aurait cru aussi grand que Mikhaïl.

Selon mon mentor, à l'instar de la lumière qui peut être modelée par un feu, par exemple, l'ombre est une entité modifiable a souhait. Arrivé à ce stade d'explications, il me regarda dans les yeux.

« Sais-tu danser? »

Hein? Danser? Qu'est ce que c'était que cette question?! Evidemment que non. Depuis toute jeune, je n'avais connu que la rue, pas les salons des noblions de Telflamme. Il soupira, et m'annonça qu'il faudrait commencer par là. Il m'enseigna les danses calishites ... Ou encore la valse du Cormyr. Les danses de bal, la basse danse, la gaillarde, la saltarelle, la pavane ... Les danses populaires ... Toutes y passèrent. C'était éreintant, et long ... Mais le plus dur, c'était encore les danses en couple. Jamais je n'aurais songé apprendre des danses en duo avec un homme qui faisait la moitié de ma taille – et pourtant je ne suis pas très grande!

Après un nombre incalculable de semaines passées à apprendre cette forme d'art, mon mentor eut finalement l'air satisfait de mes progrès. Il m'expliqua que les ombres avaient chacune leur façon de bouger, chacune leur danse propre, et qu'il m'avait enseigné les bases du bal afin de pouvoir petit à petit composer un style qui me serait propre et qui me permettrait de m'accorder aux ombres. Une nuit, il m'installa dans une pièce totalement noire, et posa un chandelier dans un coin.

« Tu vas devoir regarder les ombres ... Admirer leurs mouvements ... Te familiariser avec leur vie. Je vais te laisser en leur compagnie, méditer et observer quelques temps ... Je reviens au lever du jour. Ne touche a rien. Contentes toi de voir. »

Il entrouvrit alors une fenêtre, laissant pénétrer dans la pièce un courant d'air glacé qui, non content de me congeler, faisait vaciller les flammes du chandelier. Puis il sortit en me gratifiant d'un de ses sourires narquois. Frigorifiée, roulée en boule au milieu de la pièce, je regardais les murs. Les ombres portées sur celles-ci changeaient selon le courant d'air et les mouvements des flammèches ... Au milieu du ballet des ombres, une se détachait particulièrement : la mienne, nette et d'un noir d'encre, totalement différente de ses semblables.

Je restais là plusieurs heures, rêveuse, tentant d'oublier le froid mordant de la soirée hivernale que mon mentor avait choisit pour l'expérience en regardant la danse des formes noires sur le mur. Je m'amusais à faire des ombres kara-turienne ou à essayer de me mouvoir comme elles – puisqu'il m'avait dit que c'était là la prochaine étape. Finalement, le jour commença à poindre à l'horizon, et moi, je m'endormis.

V – Pas de simples voleurs

Les jours passèrent, et mon mentor m'expliquait ce qu'il attendait de moi. Il voulait que je sois une modeleuse de l'ombre. Que par mes gestes, j'apprenne à la modeler. Que j'apprenne à la considérer comme une réalité palpable et non une simple absence de lumière. Je lus des ouvrages sur le plan de l'ombre, et surtout, surtout, j'observais leur ballet la nuit tombée et j'essayais de les reproduire. Il voulait que je sois plus qu'une simple voleuse. Il voulait que je sois une artiste.

« Alors, et seulement alors, je commencerai à t'apprendre comment les Seigneurs utilisent les ombres. Tu es devenue une ombre ... Je vais t'apprendre à te mouvoir parmi tes semblables. Puis à faire éclater ton héritage. »

La première des choses qu'il m'apprit était d'utiliser les ombres comme un voile pour me cacher à la face du monde. La gestuelle est très importante pour cela : il faut s'accorder aux ombres, se rapprocher d'elles en imitant leurs mouvements un court instant, pour ensuite les saisir et les manipuler. Il me fallut longtemps, des semaines et des semaines pour réussir ne serait-ce qu'à faire bouger légèrement une ombre. Mais je dois avouer que les jours passés à simplement observer pour devenir familier avec elles me furent utiles. Le Vétéran qu'était mon mentor était réellement quelqu'un de compétent.

Un jour, enfin, j'arrivais à attirer à moi suffisamment d'ombre pour m'en draper entièrement et finalement disparaître à la vue de tous, juste le temps de me cacher correctement. Mon mentor avait l'air satisfait. Il m'apprit alors à ouvrir un portail vers les ombres.

« Tu vas ouvrir une porte, et attirer à toi un démombre. Par ta danse, tu le lieras à toi, et à toi uniquement. Il te comprendra, tu le comprendras, mais nul autre ne pourra le contrôler. Il sera ton serviteur et ton guide, ton compagnon de route ... Il sera, pour toi, comme une seconde ombre ... Ou comme un frère. L'ombre de chacun est unique! Tes gestes représentent ta personnalité ... Et ton démombre est créé par tes gestes. »

Il se mit à sautiller devant une ombre, et une large silhouette s'en détacha. Haute et imposante – comparé au halfelin – elle avait des griffes d'ombre immense et je lui devinais presque une expression malsaine ... Son ombre, a dire vrai, était terrifiante et semblait peu commode. Elle avait une forme torturée, comme si elle était née des rêves d'un esprit tordu et plein de souffrances. Une représentation de notre personnalité? ... Honnêtement, après avoir vu ca, j'avais comme un doute.

« A ton tour. »

J'allais devant le large mur qui me servait à mes entraînements ... Comme toujours, le vent froid faisait virevolter la flamme des bougies éclairant faiblement la pièce. Je me mis à danser un peu, essayant de dessiner du bout des doigts une forme humanoïde lorsque je dansais. L'ombre semblait réticente à répondre à mes appels, bougeant un peu, puis retournant à sa position initiale. Après moult essais, finalement, l'ombre sembla gigoter plus que d'habitude, et 'quelque chose' en sortit, dans une sorte de bruit bizarre – comme si la chose essayait de sortir d'un pot de mélasse.

La chose semblait me regarder. Elle était fine, presque aussi fine que moi, mais légèrement plus grande. Ses longs bras se terminaient en des griffes longues et peu épaisses. Elle avait deux points bleus brillants à la place des yeux. D'une manière générale, mon démombre ressemblait à un humain, plus corpulent que moi et tout noir, mais un humain quand même. Le dénombre émit un son caverneux, que j'interprétais instinctivement comme un bonjour. J'allais apprendre plus tard que mon ombre était une fieffée pipelette. Je m'approchais, la touchait du bout des doigts, et regardait mon mentor. Il était en train d'opiner.

« Tu as trouvé ton compagnon d'ombre. Je n'aurai bientôt plus grand chose à t'apprendre, ma petite ombreuse ... »

Tandis que je reposais mon regard sur mon ombre, j'entendais mon mentor se diriger vers la sortie. Avant de franchir le pas, il s'adressa une dernière fois à moi.

« Il faudra aussi que tu lui trouves un nom. »

Je souriais, admirant mon nouveau compagnon. Après un instant de réflexion, je soufflais.

« Innocence. »

VI – Ave Tenebrae

L'entraînement se poursuivit tout de même. Plus martial, étant donné qu'il était basé sur le mouvement. Je devais éviter des coups, chuter, me rattraper, bondir ... Le tout sous l'œil intransigeant de mon mentor. J'avais souvent essayé de parler avec lui, d'essayer de le connaître, mais il se bornait à ne jamais parler d'autre chose que des ombres et de mon entraînement. Lorsqu'il me considéra prête, il m'emmena vers une demeure des hauts quartiers.

« Dans la chambre du maître de maison se trouve une coupe en or. Ramènes la moi. Je ne veux aucun mort. »

Je saisis mon grappin a ma ceinture ... Mon mentor me posa la main sur la mienne.

« Passes par la porte. Il faut savoir mettre du piment ... »

Ha l'enf****! ... Par la porte, donc ... Je la crochète ... Un jeu d'enfant ... Et j'entre. Je rase les murs, je passe de couloir en couloir ... Un garde! Je cours, il se retourne, je me jette a terre ... Croc en jambe ... Je l'assomme. Je continue mon chemin. Là! Un autre garde! Je me fonds dans les ombres, je les laisse m'entourer ... Je pense a mon sang, a ce que je suis ... Je pense au couloir ... Il va tourner la tête par ici, je vais pouvoir passer derrière lui ... Je me sens aspirée, comme si l'intérieur de mon corps était transporté, et tout le reste suivait. Je suis de l'autre côté du garde. Je file. Je monte les escaliers, aussi vite que je le peux tout en restant silencieuse. La chambre. J'ouvre, j'entre. Le calice d'or! Je le prends, une latte au sol craque ... Un chien aboie ... Le maître de maison se réveille, il hurle. Je me jette par la fenêtre, calice dans les bras. Un roulé-boulé, j'amortis ma chute, et je cours dans les sombres ruelles de Telflamme.

Mon mentor avait finit de m'enseigner la voie du Maître des Ombres. Après plus d'une année, il était temps! De cambrioleuse, j'étais devenue Maîtresse des Ombres.

« La suite sera moins artistique, plus personnelle ... La voie des Seigneurs des Ombres est avant tout une affaire de concentration, de méditation. Ne peuvent devenir Seigneurs que ceux qui sont déjà liés aux ombres, d'une façon ou d'une autre. Ils doivent sublimer leur apprentissage, aller au delà de leur héritage, pour faire corps avec les ombres. »

Il fallait que je comprenne les ombres, que je me mêle à elle. Jusqu'ici, je n'avais fait que les manipuler. Il fallait que je les pénètre. Les Seigneurs de l'Ombre œuvraient avec et dans celles-ci. Cela n'allait pas être facile ...

« Je te laisse quelques mois de répit avant de poursuivre, ma petite ombreuse. Met à profit ... Ce que tu as appris. »

VII – La Chute et l'Exil

J'étais heureuse. Les opérations devenaient plus sportives, certes, mais bien plus artistiques également. Je bondissais d'ombre en ombre, je me cachais, j'assommais et je passais! Un garde récalcitrant? Rien que mes éventails ne puissent régler, surtout qu'ils étaient toujours surpris que ce fût des armes. Parfois, je m'attardais encore sur le port, à fixer l'horizon, et la lune émergeant des eaux sombres de la mer. Souvent, j'allais encore voir Mikhaïl, a qui je parlais de mes exploits, et pour la première fois, je le voyais sourire. Mon mentor était des plus occupés, et j'attendais patiemment le jour où il allait me rappeler pour poursuivre ce qu'il avait commencé. Il avait déjà tant fait pour moi. Tant fait.

C'était une nuit d'été. Je venais d'avoir 19 ans, selon la date d'anniversaire que je m'étais attribuée. J'allais faire mon braquage d'anniversaire, un petit plaisir que je m'accordais! J'avais monté le coup quelques temps a l'avance, et j'avais choisit de m'en prendre au prévôt. Il représentait l'autorité, certes, mais bon, j'allais voler une babiole sans valeur. Une affaire de style, en somme. Il n'allait même pas s'en rendre compte! Il fallait a tout prix éviter des problèmes a la Guilde ... Evidemment, je commençais a m'interroger lorsque j'ai trouvé la porte de sa demeure ouverte. J'étais franchement inquiète lorsque j'ai trouvé le premier cadavre de garde. Et j'ai faillit m'évanouir lorsque j'ai vu le spectacle qui m'attendait au bout de mon chemin : une immense mare de sang, figurant une sorte d'étoile a huit branches, avec la tête du prévôt artistiquement déposée au milieu, la mâchoire arrachée. En fait, la seule chose qui m'empêcha de m'évanouir, c'était de le voir. Satané halfelin. Il me regardait, souriant, jouant avec sa dague, assis sur le lit. Puis il rejoignit le sol d'un bond, tout couvert de sang, tournant autour de ce qui semblait être son "œuvre".

« Alors, ma petite, comment trouves-tu cela? »

Les seuls sons qui sortirent de mon gosier s'éteignirent au niveau de mes lèvres, et ils étaient tous porteur de mots peu élogieux à l'égard de mon "mentor". Lui opine en souriant.

« Oui. Ils ne seront pas contents! Toi, ma petite! Seigneur des Ombres! Tu allais le devenir ... Sous peu. Enfin, sous peu ... Encore quelques mois, hmm? Je devais te surveiller! »

Je continuais à le fixer alors qu'il poursuivait son chemin autour du macabre spectacle, jouant toujours avec sa dague. Il secouait la tête.

« C'était une chose que je ne pouvais pas laisser passer ... Cette guilde ... Doit Lui revenir ... Le Saint Prince en aura bientôt finit avec votre pitoyable divinité, et alors ... Il me nommera certainement maître de la Lame Cachée! »

Mégalomane psychotique. Il pointa une dague vers moi.

« Il y a trop de Poltrons en temps que Seigneurs. Tu aurais été ... De trop. Mais les voir t'exécuter sera un spectacle qui Le ravira.
- C'est vous qu'ils tueront. Je leur dirai ... Ce que vous avez fait.
- Oui. Tu le leur diras. Et ils ME croiront. Car toi, tu n'es qu'une ... Débutante ... »

C'en était trop. Sans réellement réfléchir, je bondis, saisissant un éventail, qui lui trancha la gorge, figeant à jamais son sale sourire d'avorton hypocrite. J'étais hors de moi! Mais j'étais également dans de beaux draps. Je filais hors de la demeure, couverte de sang, avec la nette impression que si on trouvait mon mentor chargé de m'espionner au milieu d'un carnage fomenté par le Soleil Noir, on ferait un lien un peu hasardeux et hâtif avec moi. Sur les toits du port, je contemplais mes mains. Mes mains de meurtrière. Et j'essayais de me convaincre que ce n’était pas grave. De toute manière ... Je n'en avais plus rien à faire. J'avais plus urgent ... Je pris un navire vers l'ouest, je descendis au Cormyr, bien décidée a poursuivre ma route jusqu'a ce qu'une mer infranchissable m'arrête. Et au terme d'un long périple, une falaise m'arrêta. Je gagnais Eauprofonde, et m'engageais dans une taverne miteuse. Un homme me demanda mon nom, sans doute décidé à m'attirer dans sa couche. Je regardais mon verre ... C'était la première fois en près de 15 ans qu'on me demandait mon nom.

« Aiyanna. »

VIII – Espoir

Je suis à Luskan, l'endroit où tout est possible. L'endroit où ceux qui n'ont plus rien ont faire ailleurs finissent. Observant mon reflet dans une vitre mal lavée, je termine mon chignon, avant d'y enfoncer quelques outils de crochetage. Je passe ma tenue de cuir, compressant bien ma poitrine. Je range mes deux éventails dans les étuis à mes manches, avant de passer mon masque de soie et ma cagoule, puis je regarde l'horizon. Une nouvelle nuit commence pour moi ... Moi ... Moi, l'enfant innocente ... Moi la mendiante, la coupe bourse, la tueuse et la cambrioleuse ... D'humaine, je devins ombre. Je vis à la frontière de la Lumière et des Ténèbres. Je vis dans les faux semblants. Menteuse, tricheuse, escamoteuse ... En ma présence, tout devient possible, les ombres prennent vie ... Tout devient possible ...

IX – Le Nord

Cela fait quelques jours que je vivote dans la Cité des Voiles. A force de fuir, j'ai finis par me heurter à un obstacle infranchissable : l'océan. La ville porte bien son nom : du haut des toitures du port, on pourrait presque croire que l’océan dans son ensemble est recouvert des mâts des navires de la ville. Lorsque le besoin s’en fait sentir, je détrousse quelques passants, récoltant de ci de là le nécessaire pour vivre. Forte de mes quelques piécettes durement acquise, et piquée par la curiosité, j’allais a cette ‘vente aux enchères’. Damnée soit ma lenteur ! Si j’avais été là quelques jours plus tôt, j’aurais peut-être été assez équipée pour m’emparer des objets les plus intéressants, plutôt que d’avoir à débourser l’or si fastidieusement acquis. Mais l’intérêt de la vente s’avéra totalement autre que les objets disponibles …

C’était alors que tout le monde allait s’endormir devant la mollesse du commissaire-priseur qu’il apparut. Je ne saurais dire ce que c’était, mais cela ressemblait a un être humain, a la peau plus sombre, et surtout aux contours plus flous … Il semblait presque fait d’ombre, et ses pouvoirs étaient stupéfiants ! D’un geste il faisait disparaître des objets, ou il bâillonnait les importuns ! C’était incroyable et terrifiant à la fois … Et ses yeux … Ses yeux rouges … Il m’arrive encore d’en rêver la nuit, de ce regard perçant … Mais le pire est encore a venir. Outre ses pouvoirs, outre ses yeux, il y avait le fait que les ombres elles même changent en sa présence. Elles semblaient plus … Compactes … Et je n’arrivais plus à les manier afin de m’en entourer, et ce pendant un long moment. Totalement terrifiée, je repartis du camp, et je retrouvais mes pouvoirs.

Plus je réfléchis à cette situation, plus je pense qu’il me faudrait un mage pour comprendre tout cela … Ou mieux, un prêtre du Seigneur des Ombres … Mais comment trouver un tel individu ? Et dans le premier cas, il me faudrait un mage peu scrupuleux et peu curieux, acceptant d’aider sans poser de questions un homme – oui, je me ferai passer pour un homme – masqué …

C’était hantée par ces questions que je continuais mon travail. C’était si facile ! Personne ne me remarquait jamais trancher leur bourse ou voler leurs biens. Je pense que je m’enrichirai vite … Enfin, je pensais. Car au bout de plusieurs jours passés à voler, un homme vint vers moi, me fixa et me sourit. Je regardais derrière moi … Personne. Je regardais a nouveau l’homme. « Intéressant ! » … Intéressant ? Attendez, ça voulait dire qu’il me voyait ?! Cela commençait à sentir le roussi. Je préférais quitter prestement le mur contre lequel j’étais collé, ce d’autant plus que le jour pointait a l’horizon … Et qu’a demi aveuglée, j’allais avoir du mal à me dépatouiller si l’énergumène en rouge se mettait dans la tête d’appeler la garde.

Finissant comme souvent à la taverne des roublards, je bus un verre … Dormis d’un seul œil … Puis entrepris de repartir au travail, une fois que le crépuscule commençait à s’annoncer. Damnation ! Encore ce type ! Qui me demande de le suivre ! Mais pour qui me prenait-il ? « La prudence et la discrétion sont des vertus ». Comme si me dire un des dogmes du Masquard allait me convaincre … Enfin, je ne risquais pas grand-chose : je cours vite ! Je le suivis donc. Il m’emmena au théâtre, où il me présenta à son ‘apprentie’. Il me parla un peu de lui, il me demanda de parler beaucoup de moi. C’était un amnien, et Luskan était le territoire de sa bande. Bande qui me laissa trois choix : les rejoindre, quitter la ville, ou être traquée.

Tout cela dessine bien le tableau : une bande de barbares. Ils ne demandent même pas de serment à leurs membres, sous prétexte que personne ne le tiendrait. Comment avoir confiance envers son supérieur si il ne croit pas envers nous ? Pire, ils se moquèrent de moi. Où suis-je donc tombée … Il va falloir que je leur apprenne à vivre … Mais en attendant, jouer le jeu et les rejoindre. On me parle d’épreuve, dont la première consiste en du banditisme. De monte-en-l’air ils voudraient faire de moi un bandit des grands chemins, quelle décadence ! Mais soit, je me plierai à leur volonté. La malheureuse victime est une elfe, qui fut bien vite rejointe par un autre, puis toute une bande. J’eu a peine le temps de lui prendre sa bourse avant de filer … Et a présent, il faut que je retrouve ce « Phol », pour lui faire par de ma réussite …

X – Le Carnaval des Ombres

Assise sur un toit du port, comme souvent, les jambes repliées sur mon torse, mes bras les enserrant, je regarde à l’horizon et je souris. Visiblement, je ne serai pas aux ordres de Phol, mais du maître des espions … Et je dois dire que cela m’a l’air beaucoup beaucoup plus amusant. Hop, je bondis de mon toit, je m’agrippe a une corniche de l’autre côté de la rue, je me hisse … Je marche au bord du vide … J’aime cette sensation de liberté ! Je n’aime peut être pas cette ville, mais j’aime les perspectives qu’elle me propose. Mes pas m’amènent vers les quartiers les plus riches. Ma première cible se trouvera sans doute ici. Le Sombre Seigneur qui me dirige voit en moi une espionne, soit … Mais il faudra que je leur montre que ma première spécialité, c’est tout de même de m’approprier ce qui n’est pas a moi … Et pas seulement les connaissances.

Mais j’avais du travail avant tout cela ! Je continuais ma route, de toit en toit, marchant tantôt a pas de loup, courant ensuite pour prendre de l’élan … Bondissant, me faufilant, je finissais enfin dans une impasse oubliée de tous … Alors que je m’appuyais contre un mur, des dizaines de rats apeurés par ma présence jaillirent de vieilles caisses laissées a l’abandon. Je souriais, en regardant leurs ombres, formées par la lumière de la pleine lune, filer à toute vitesse. Lugubre … Sale … Un endroit parfait.

Je m’assis par terre, et essayait de me souvenir des enseignements du petit maître … Bien que ce fut certainement l’être le plus infect qu’il m’avait été donné de rencontrer jusqu’à présent, ses conseils étaient … Les seuls que j’avais. Phol avait refusé de m’aider, me disant que l’art des Seigneurs de Telflamme était différent du siens … Et je ne connaissais personne d’autre.

« Le maniement des ombres est avant tout une question de concentration. Il faut que tu t’entraînes à former ton esprit, et considérer les ombres comme quelque chose de palpable, une matière que tu formeras … Que tu manipuleras selon ta volonté. Ca ne devrait pas être difficile, vu … Ce que tu es … »

Se concentrer, se concentrer, il en avait de bonne. Dans ma ruelle, assise en tailleur, les mains sur les genoux, j’avais beau réfléchir, l’image de ce satané halfelin me revenait en permanence à l’esprit, et avec cette image, l’envie de le tuer encore une fois. Aiyanna ! Ressaisit toi ! Chasses le de ton esprit, non seulement tu n’es pas une meurtrière, mais en plus, tu as mieux a faire. Se concentrer … Penser a ce que je suis … Je fermais les yeux, je me focalisais sur … Moi. Sur ma respiration, sur mon cœur battant … Dans ce cœur là, ne passait pas que du sang … Il passait des ombres, je faisais partie de ce monde … J’étais plus qu’une humaine, j’étais une ombre parmi les ombres.

Rhaaaaa ! C’est bien beau ces histoires, mais ça ne sert a rien ! Je rouvris les yeux. Se concentrer. Comme j’ai horreur de ce mot. Tournant la tête, regardant autour de moi, j’essayais de voir ce qui m’entourait. Des caisses à ma droite projetaient une large bande noire dans laquelle j’étais assise. La fixant, j’usais d’un peu de volonté … Les ombres commencèrent a s’agiter autour de moi, et a se resserrer sur elles même, avant de m’entourer. Ca, je savais déjà faire, mais comme on dit, il faut paver la route a partir de là où l’on s’est arrêté ! Je me drapais des ombres, je regardais mes mains devenues légèrement noires, et je souriais. Je ressentais toujours un léger froid quand je faisais cela, sensation étrange mais grisante … Mon cœur s’accélérait … Je me sentais bien.

Mais il faut aller plus loin, Aiyanna. Plus loin. Je regardais autour de moi, et fixait un point ombragé. Je refermais les yeux … Ne faire qu’un avec elles, les laisser m’envahir, presque entrer en moi … J’essayais d’entrer en résonance avec mon obscur environnement, sans grand succès. Je sentais les ombres s’agiter autour de moi, mais elles ne me portaient pas là où je le voulais. Je stoppais tout, et soufflait un moment. Les ombres se retirèrent de mon corps.

« Allez, ma petite, encore un petit effort … Les ombres sont un portail autant qu’une matière manipulable … Allez … Tu peux le faire … Penses … Penses a l’endroit que tu veux atteindre … »

Je regardais a nouveau mes bras, me concentrant légèrement. L’obscurité se coula autour de mes membres, me cachant aux yeux du monde … Me faisant approcher de la frontière entre le Matériel et l’Ombre … Je fermais les yeux. Je suis une ombreuse. Je suis une ombre. Je sers Mask, Seigneur des Ombres et des Voleurs … Et je plie l’obscurité a ma volonté … Je me concentrais de toutes mes forces, je sentais un grand froid m’envahir. Mon cœur battait à tout rompre. Etait-ce l’effort, ou mon sang entrait-il réellement en symbiose avec mon environnement ? Je ne savais pas trop … Je poursuivais mes efforts, me laissant envahir par les ombres, les maniant comme je savais le faire jusqu'à présent … Il faisait de plus en plus froid … Finalement, ne tenant plus, je stoppais tout effort, ouvrant les yeux d’un coup. La chaleur revint – chaleur toute relative en ces latitudes nordiques.

Jetant un œil autour de moi, je n’étais plus à ma place. Je m’étais déplacé d’a peu près 3 mètres sur ma droite. J’esquissais un sourire, puis m’appuyait au mur pour me relever, essoufflée. J’avais réussit – du moins en partie. J’allais passer une bonne nuit.

Demain, il faudra faire 6 mètres !

XI – Réminiscences

Citation :

Il marchait dans la ruelle, emmitouflé dans sa lourde cape, son crâne rasé couvert d’une capuche le protégeant de la pluie ne cessant de tomber. Au loin, on entendait parfois la foudre tomber, alors qu’un flash lumineux éclairait les environs. Son pas rapide le conduisait à déraper parfois dans la boue, mais il se rattrapait prestement au mur qu’il longeait. Il était pressé d’en finir. Et l’empressement n’était pas quelque chose de salvateur, il le savait mieux que personne. Celui qui parvient a son but est celui qui prend le temps de réfléchit. Mais cela faisait trop d’années … Trop d’années qu’Althon survivait … Trop longtemps qu’il avait eut a subir sa trahison … Levant les yeux au ciel, Mikhaïl pressa encore le pas. Il fallait que cela soit terminé avant que le jour ne se lève.

Pénétrant dans une ruelle étroite, il finit par arriver à sa destination. Une petite maison, dont la porte en chêne a moitié dégondée menait dans cette sordide ruelle. Mikhaïl regarda les anciennes ornementations en fer rouillées, des serpents, puis tenta de pousser la porte. Sans succès. Qu’importe, il n’était pas homme à se laisser faire. Donnant un solide coup d’épaule à l’huis, il put finalement pénétrer dans la masure. Il resta quelques instants dans l’entrée, se familiarisant avec l’obscurité, puis commença à avancer. La cuisine était sale, comme laissée a l’abandon … De la poussière s’était déposée partout … Il doutait. Son indicateur était-il exact ? Trouver Althon ici serait surprenant.

Et pourtant, après avoir atteint l’étage, dont le sol grinçait a chacun de ses pas, il le vit, assis sur un tabouret, près d’une fenêtre. Il jouait avec une dague, et, de temps à autre, toussait. Mikhaïl dégaina son épée, et avançait prudemment.

« Tu sais, Mikhaïl, je savais que tu finirais par venir … Par me retrouver … Même si il t’a fallut tant d’années …
- La ferme. »

Althon se retourna. Il avait les traits tirés, ses cheveux commençaient à grisonner. Longtemps, cet homme avait travaillé de concert avec Mikhaïl. Ils se connaissaient si bien … Ils étaient comme des frères. Mais l’argent avait finit par avoir raison de leur association – et de leur amitié. Tant d’années passées à jouer les mercenaires … Puis, alors que tout deux s’étaient rangés …

« C’est comme cela que tu parles a un si vieil ami ?
- Un ami ?! Un assassin, oui ! Tu les as tuées ! Yusheng ! Aiyanna ! Tu les as tuées !
- T-t-t … Je n’ai tué personne, voyons ! Je t’ai protégé ! Tu ne sais pas dans quelles affaires ta gentille petite famille baignait ! »

Mikhaïl eut un léger mouvement de recul, surpris par la nouvelle. Cruciale erreur. Le mage qui lui faisait face incanta, et un trait de feu frappa l’œil gauche du colosse … Portant la main à son visage, il sentit la dague de son ancien compagnon le frapper au côté. Mais Mikhaïl répliqua rapidement, frappant Althon de son épée. Ce dernier bondit à quelques mètres, le bras gauche en sang. Les deux anciens mercenaires se fixèrent un instant …

« Tu as vieillit, Mikhaïl … Tu n’es plus aussi fort qu’avant …
- Et toi, plus assez rapide ! »

Le colosse se jeta sur Althon, frappant comme un damné … L’autre esquivait, se baissant, se jetant sur le côté … Mais au final, la rage de vaincre de Mikhaïl eut raison de la souplesse vacillante d’Althon. Un coup … Deux coups … Il finit par tomber a terre. La respiration saccadée, pris d’une quinte de toux, il tendit une main vers le colosse dorénavant borgne …

« Pi … Pitié !
- Tu as fait de moi un assassin. Et un tueur n’a pas de pitié. »

Evidemment, il restait des zones d’ombre dans le récit qu’il m’avait fait … Ce brave Mikhaïl n’avait jamais voulut tout me dire sur lui. Les vraies circonstances qui ont amenées la trahison d’Althon, et même comment il s’y était pris. J’ai souvent imaginé ces détails manquant, mais je pense qu’a présent, jamais je ne connaîtrait la vérité. Et au fond, c’est ce qui faisait tout le charme de ces histoires. Ces histoires qui ne me quittaient jamais …

Les imagines qu’il m’avait dépeintes ne cessent de me revenir a l’esprit, aujourd’hui. J’imagine Althon, vieux et plus faible … Les coups portés … Le trait de feu. Assise au bord d’une fontaine de Luskan, observant mon reflet dans l’eau, je repense a tout cela … A ces images viennent s’en ajouter d’autres, plus récentes. Ma désobéissance, lorsque j’ai quitté la ville alors que le patron m’avait demandé d’y rester pour surveiller la place. Le mendiant que j’ai suivit. Ce ‘moine tymoriste’ aux pouvoirs incroyables, qui s’était attaqué au mendiant et a moi-même, et transformé en créature rouge aux grandes ailes de chauve souris. L’amulette qu’il m’a fait passer autour du cou, et qui a fait de moi une esclave selon ses dires. Les créatures qu’il a invoquées lorsque des gens sont venus … La créature qui m’a frappée au visage …

Ce visage, que j’observais. J’avais mis un large bandeau sur mon œil gauche. Je ne sais si j’arriverai à vivre avec ce handicap. Mais il est une chose que je sais. Ce démon m’a pris ma liberté, en même temps que mon œil … Et j’allais la reprendre.

Dans le sang, si il le fallait.

XII – La Cour des Miracles

Cela faisait maintenant plusieurs semaines, plus d’un mois en vérité, que j’étais dans cet état. Mais au final, on se fait a tout … La majeure partie des gens autour de moi, de toute manière, ne portaient pas vraiment d’intérêt a mon handicap : tant que je suis en vie, c’est tout ce qui importe. Au fond, il ne restait plus qu’une seule personne qui me prête de l’attention et en qui je pouvais trouver du réconfort …

« Père de Toutes les Ombres, guides mes pas, guide ma vie … Je t’offre ce bijou, comme offrande pour m’avoir protégé dans mes entreprises … »

Au début de chaque soirée, je priais. Et quand se relevait le jour, j’abandonnais dans une ruelle quelques fruits de mes rapines, dans un coin d’ombre, en offrande au Seigneur des Voleurs. Mask est un guide, un protecteur, un père. Je lui rendais hommage en confiant a son bon vouloir ces quelques objets : peut être allait il les confier a un collègue, a un mendiant ou encore un enfant passant par là. C’est une manière peu conventionnelle de le louer, je m’en rends compte, mais en l’absence de temple … Si il y a des prêtres maskoriantes dans la région, c’est qu’ils se cachent bien !

Lorsque je ne ‘travaillait’ pas, j’écoutais le patron essayer laborieusement de m’expliquer sa façon de voir le monde. Ce moine est un individu amusant, en fait : physiquement pas très fort, ni très grand, on aurait presque put le confondre avec moi. Il faudra que j’en joue, un jour. Il m’apprenait à faire usage de mes sens, l’ouïe surtout. A écouter ce qui se passe autour de moi. Et a ‘méditer’. En fait, c’était assez proche de ce que je faisais déjà : là où je m’assieds pour tenter d’entrer en communion avec les ombres, lui essaie d’atteindre une sorte d’harmonie avec son corps. C’était intéressant, mais décidemment pas pour moi … Il me confia également la tâche de convaincre un mage de nous offrir ses services … Entreprise dans laquelle j’échouais lamentablement, d’ailleurs. Le mage était trop gourmand, quoiqu’intéressé.

Mis à part le Patron, je ne passais que peu de temps avec mes autres confrères de l’Organisation des Sombres Seigneurs. Non seulement j’ai horreur de ce nom, mais en plus je trouve les membres assez peu disciplinés. Sympathiques, compétents, mais … Etranges. En fait, je me mêlais si peu a eux que je fus assez surprise lorsque le Patron était partis d’apprendre qu’il m’avait nommée a sa place.

Sombre Seigneur. Voila qui pouvait devenir intéressant.

XIII – La Perle du Nord

Le procès d’Hakeem Enrique, Légat de Bryn Shander, était dans tous les esprits. Au Nord on s’indignait, on s’inquiétait, au Sud on s’extasiait, au centre on y voyait soit un évènement notable, soit une opportunité. Un million de pièces d’or offertes a celui qui le libérerait. Voila qui était intéressant. Evidemment, étant donné que la région était pleine d’amateurs, il fallait s’attendre a ce que plusieurs tentatives totalement désordonnées aient lieu. Le Procès en lui-même était l’occasion rêvée pour préparer l’évasion future …

L’esprit tortueux de Wereärm avait recherché de nombreux plans tous plus fantasques les uns que les autres. Mais aucuns n’étaient réalisables, puisqu’il nous manquait le plus important : des connaissances de l’intérieur. A cette remarque, nouvelle fournée de plans abracadabrantesques … Pour que finalement je finisse par tenter d’infiltrer la prison toute seule.

La prison de Padhiver est située dans les sous sols du palais de justice. Entrer dans ce bâtiment ne fut d’ailleurs pas bien compliqué, étant donné que les gardes ne sauraient pas repérer un dragon dans un couloir de deux mètres. Bref, les premières difficultés s’annoncèrent lorsqu’il fallut passer une porte gardée – que dis-je, couvée ! – par un soldat padhiverien. J’eus la chance de voir une personne – apparemment gradée – passer, et de pouvoir me faufiler alors qu’on lui avait ouvert la porte. Les torches au mur illuminaient faiblement les couloirs des sous sols, faisant danser les ombres sur les murs. L’environnement était décidemment parfait. Je quittais cependant la frontière entre notre monde et celui de Mask lorsqu’il me fallut crocheter une serrure. Serrure assez basique, d’ailleurs.

Entrouvrant la porte, je me retrouvais visiblement dans la caserne dépendant du Palais de Justice. Les gardes braillaient, jouaient, discutaient … Leurs affaires étaient posées en vrac dans un coin. Je cherchais à tâtons mon sac de poudre extasiante … Oui, cela allait sans doute faire l’affaire. Fermant un instant les yeux, je laissais les ombres me recouvrir, disparaissant a nouveau a la vue de tous. Puis j’entrais dans la pièce.

Le plan était simple, en fait, bien que totalement fou et risqué. La poudre extasiante provoquait des hallucinations qui pouvaient entraîner un accès de rage incontrôlable. La poudre dans la paume de ma main gauche, le nez pincé par la main droite, accroupie sous une table, je quittais la Frontière pour souffler la poudre sur un des gardes, avant de me cacher a nouveau. Tout alla très vite … Mon apparition brusque ne provoqua pas grand émois – sans doute ne m’avaient ils pas vu – et presque tout de suite après avoir respiré ma poudre, le garde commença a avoir des réactions étranges. Tout le monde tenta de le maîtriser, me laissant le temps d’aller engouffrer rapidement quelques affaires dans mon sac sans fond … Personne ne me remarqua, trop occupés qu’ils étaient à calmer leur compagnon. Finalement, ils réussirent, et un garde remonta pour prévenir les gradés au tribunal de ce qui s’était passé. Je le suivis.

La salle principale du tribunal était remplie de monde. Les gardes ne prêtaient qu’une attention relative a tout ce qui se passait ici … Le procès avait été long, et leur vigilance s’en ressentait. Sautillant de zone peu éclairée en zone peu éclairée, j’arrivait au mur est du tribunal … Je bondis jusqu’au rebord de la fenêtre, sautait a l’extérieur et gambadait sur les toits jusqu’au sortir de la cité.

Wereärm m’y attendait, et je m’écroulais, éreintée par tous ces efforts. Je savais a présent a quoi ressemblait leur prison, et j’avais ramené des objets qui pouvaient se révéler utile par la suite. Wer me congratulait … Mais au final, tout ceci n’avait pas servit a grand-chose. Hakeem réussit à s’enfuir quelques minutes après que je sois sortie … Bah, tout cela pourra être réutilisé plus tard.

XIV – Notre Dame des Ombres

Les récents évènements m’avaient présenté un effet pervers de ma transformation en Ombreuse. Je suis faible. Souple, compétente, mais guère endurante. Cela me causera tord un jour … Je ne suis faite que pour les opérations éclair, et il faudra donc que chacun de mes plans soit parfaitement minuté et en accord avec mes capacités. Capacités que j’éprouvais d’ailleurs tout les jours : il fallait que je connaisse mes limites. Je me souvenais des enseignements de Mikhaïl, notamment en ce qui concernait les combats, et je m’évertuais à poursuivre ces entraînements.

J’avais improvisé une sorte de mannequin dans la taverne abandonnée. Un sac de toile, de la paille … Il fallait que je sache frapper vite, et bien, tout en m’épargnant des efforts inutiles. Des heures durant, je répétais les gestes qu’il m’avait appris, tailladant l’infortuné mannequin grâce a Ombre et Lumière. Jusqu'à ce que, évidemment, le sac de toile finisse par céder totalement, signe que l’entraînement avait trop duré.

Je poursuivais également mes entraînements visant à me rapprocher du royaume de Mask. Tous les jours, j’essayais de le comprendre un peu plus, de me familiariser avec les ombres. J’avais déjà réussit à me téléporter par les ombres … Je savais m’en faire un manteau me cachant au monde entier … A présent, j’allais apprendre a les modeler. J’avais vu certains Seigneur de l’Ombre le faire, jadis … On aurait dit que les ombres s’agitaient autour d’eux, comme des sortes de serpent, rendant tout leurs mouvements très difficiles à prédire. C’était à cela que je devais arriver.

Comme toujours, lorsque l’on souhaite progresser, il faut reprendre sur des bases connues. Me mêler a l’ombre pour atteindre la frontière entre ce monde et l’autre était déjà une sorte de manipulation … Mais là, c’était une sorte de voyage inverse que je souhaitais : non pas aller du Matériel a l’Ombre, mais amener des Ombres au sein même du Matériel. Je suis une Ombreuse. Je suis un lien entre le Matériel et l’Ombre. Je devais encore une fois mettre ceci a profit …

Je fermais les yeux. Il me fallait de la concentration … Debout dans un coin au fond de la taverne abandonnée, je respirais lentement, essayant de me focaliser sur moi-même et sur la pénombre environnante … J’essayais de retrouver cette sensation, celle que j’avais a chaque fois que je me cachais … Ce moment où je me sens comme happée par le royaume de Mask … J’essayais d’y repenser, et en même temps de songer a ce que pourrait être la sensation inverse … Plutôt que de s’engouffrer dans le royaume du Seigneur des Ombres, le faire venir a moi …

Le faire venir a moi …

Je me concentrais là-dessus. Que les ombres viennent … Je repensais au rituel de l’Ombrage … La douleur lorsque je sentis l’ombre investir mon corps … Mais aussi la facilité déconcertante avec laquelle le prêtre l’avait animée … Mon cœur battait a tout rompre. Je repensais a tout cela, a tout ce que j’avais vécu, et j’ouvris les yeux. Fixant le sol, je fis mine de vouloir me fondre dans la noirceur des lieux … Lentement … Je sentais les ombres m’entourer, mais cette fois-ci, je n’allais pas me cacher. Me concentrant, sur les ombres, sur moi, sur ma nature … Je les fis glisser sur moi … Me concentrant, sur mon sang, sur mon but, sur les moyens a ma disposition … Je les fis s’animer …

L’effort était insoutenable, mais je devais réussir. Je regardais mon corps … Des lignes noires surnaturelles le barrait en tout sens, se mouvant lentement … Je me concentrais encore. Je voulais rendre ma silhouette floue et avoir l’air impalpable. Les ombres s’agitaient, comme si elles réagissaient à mon désir. Elles commençaient à filer en tout sens sur moi. Je regardais ma main gauche : on aurait dit qu’elle se fondait avec la noirceur de la taverne.

Je tombais au sol, a genoux, vaincue par la fatigue. Ce n’était pas encore suffisant. Il fallait que cela soit naturel. Il fallait poursuivre. Mais plus tard.

XV – L’Art et la manière …

Un chose qui m’avait toujours intrigué a Luskan est cette grande bâtisse, en plein milieu d’une île … La tour de l’Arcania. Evidemment, le lieu m’était interdit d’accès – en tout cas en théorie, car nulle porte ne peut me résister au fond ! – mais cela ne m’a jamais empêché d’être d’une curiosité maladive par rapport a ces gens étranges, hautains et fantasques. A côté des mages, Wereärm pouvait presque sembler normale. Car honnêtement … QUI irait faire confiance a quelqu’un fricotant avec les démons, toujours plongé dans des livres et parlant de sorte que personne ne puisse les comprendre ? Des gens capables de vous détruire l’esprit ? Des gens qui, d’ailleurs, on certainement perdu le leur depuis longtemps … Mais même si ils étaient de toute évidence dangereux, les mages étaient intéressant.

La première chose qui m’a toujours fasciné, c’est le fait qu’ils étudient le plan de l’ombre. Là où pour moi, le passage est naturel … Là où pour moi, le Matériel et l’Ombre sont comme deux pièces d’une maison, possédant de multiples portes les liant l’une a l’autre, pour eux il s’agit d’un phénomène que l’on étudie, décortique et analyse. Il y avait un mage drow à a taverne abandonnée, récemment, et sa façon d’aborder l’Ombre m’avait semblé terriblement éloignée de ce que je jugeais être la norme. Le Plan de l’Ombre est ce qui nous rapproche et nous oppose : bien que nous l’abordions d’une manière différente, les mages et moi savons voir en plus que trois dimensions, contrairement au commun des mortels.

Dans une autre mesure, la magie en général m’intrigue. A Telflamme, ce satané halfelin – honnis soit son nom de chien galeux, de chacal qui ne méritait rien de plus qu’un crachat a la figure – bref, mon mentor m’avait enseigné comment ‘utiliser’ deux ou trois objets. Utiliser est d’ailleurs un bien grand mot – il m’est arrivé plus d’une fois de voir une baguette m’exploser a la figure. Tenant plus de l’expérimentation que d’une réelle science, l’utilisation d’objets magiques était tout de même intéressante. On m’apprit à déchiffrer grosso modo les inscriptions sur les parchemins – avec le risque de me tromper d’interprétation – ou encore a agiter les baguettes magiques jusqu'à ce qu’elles fassent autre chose qu’une étincelle minable. Mais, curieuse de nature, j’ai souvent demandé ‘pourquoi’. Pourquoi tel parchemin, écrit de telle façon et lu de telle façon produisait-il cet effet et pas un autre ? La réponse fatidique de mon mentor (que je déteste) tombait toujours comme un couperet : « Parceque c’est ainsi. »

En gros, il ne savait pas. Et en fait, très peu de gens en Telflamme savaient quoique ce soit.

J’avais dérobé un livre à un mage, récemment. Il parlait un peu d’élémentaires de feu, et un peu de magie. Bon, autant le dire tout de suite, je n’y ai pas compris grand-chose. Mais visiblement, les magiciens lancent leurs sorts en retenant par cœur des formules et des gestes. Fascinant. Je fis donc la seule chose qu’une personne censé aurait pensé a faire après telle découverte : je pris un des quelques parchemins que j’avais ‘empruntés’ ici et là, et je les observais.

Le premier était un parchemin de Ténèbres. Ils sont reconnaissables à l’espèce de symbole bizarre que la plupart des mages mettent en haut a droite. Je ne sais pas à quoi cela correspond exactement, mais c’est sans doute pour s’y retrouver. La suite du parchemin est pleine d’annotations complexes et de symboles bizarres. Je reconnais vaguement un signe qui se prononce « Ipoo », un autre « Somatza » … Bref … Je sais aussi que ce symbole bizarre, l’espèce de cercle coupé par un triangle avec plein de flèches partout, ça signifie que je dois agiter la main droite de haut en bas puis faire un demi tour sur la droite. Non, sérieusement … Après ça, on ne me fera jamais croire que les mages sont saints d’esprit. Bon. Donc, quoiqu’il en soit, en faisant ces formules toutes faites, et en serrant très fort le parchemin – très important de bien le tenir – cela lancera un sort de ténèbres. Ou invoquera un poulet si je me suis trompé.

Mais donc, après avoir appris ces quelques trucs sur la magie, le pouvoir qui est amené par la formule et tout … J’ai eu l’idée de tenter sans le parchemin. Le posant donc dans un coin, je repense aux gestes a faire … Aux paroles … J’incante, bougeant comme il le faut, disant les wouetah et autres bidulschmurtz au bon moment. Et là, ni une, ni deux ….

Un grand son de claquement, une odeur de souffre. C’est tout.
Non, décidemment, la magie, ce n’est pas une affaire d’amateur.

XVI – Jaillissement des ténèbres

J’ai poursuivis mes entraînements concernant les téléportations. Les portes que Mikhaïl m’a ouvertes sont fascinantes. Mask a des pouvoirs incroyables, car le plan de l’Ombre, son royaume, se superpose totalement à notre monde. Partout où j’irai, je sais que Mask ne sera pas loin. Quoiqu’il en soit, je m’entraînais toujours plus à maîtriser mes pouvoirs, les utilisant plus facilement, plus efficacement. Et alors que je m’entraînais avec Ombre et Lumière – les éventails que Mikhaïl m’avait offert – j’eus une idée. Mais pour la mettre en œuvre, il me fallait refaire un énième mannequin.

Une fois cette formalité remplie, j’ouvris lentement mes éventails et fixait le mannequin se tenant fièrement devant moi. Et – une fois n’est pas coutume ! – je me concentrais. L’idée était fort simple au demeurant : je sais me cacher dans les ombres puis frapper. Pourquoi ne pas me téléporter pour frapper ensuite … Je visualisais bien les lieux, fixait le mannequin, songeait a la façon dont j’allais sortir des ombres et dont j’allais frapper. Un simple coup sur toute sa longueur devrait suffire … Ce n’était qu’un premier essai après tout ! Rangeant Lumière, je continuais à fixer le mannequin, raffermissant ma prise sur Ombre. Puis j’en appelais au pouvoir des ombres …

Usant du pouvoir que Mask m’a offert, je me déplaçais jusqu'à l’arrière du mannequin, puis je frappais … Dans le vide. Décidemment, le passage était très déroutant. J’étais légèrement décalé sur la droite, mon éventail fouettait l’air, et je commençais à tomber en avant. Ni une, ni deux, je fis un petit bond en avant, puis une petite pirouette pour retomber sur mes pieds, plus ou moins à mon point de départ.

Jetant un regard de défis au mannequin – car oui, j’étais bien décidée à l’éventrer – je me remis en condition. Allez, Aiyanna, ce n’est pas compliqué, au fond … Tu passes derrière lui, et tu donnes un coup … Et tu prends le temps de viser un peu, aussi … J’inspirais, j’expirais … C’était repartis. Je me téléportais derrière le mannequin … Rha, trop a gauche ! Tant pis ! Je frappe ! Mon éventail fouetta le sac de toile, l’ouvrant légèrement sur le côté. Continuant mon geste, je repartis vers le haut, faisant une autre entaille, puis une troisième … Enfin, prévenant les coups qu’aurait tenté de m’infliger un véritable adversaire, je bondis rapidement en arrière et me mis en garde.

Le mannequin déversait toute sa paille par terre. Je penchais la tête sur le côté et sourit. Diantre, si c’avait été un humain, le spectacle m’aurait sûrement fait vomir.

XVII – Un coeur de ténèbres

Je suis une ombre, j'ai le sang des ténèbres. Lorsque je suis blessé, ce n'est pas un flot vermillon qui s'écoule, mais du sang d'un rouge très sombre, presque noir. Mask a touché mon coeur, mon corps, et mon âme. Il a fait de moi une Ombreuse. Quand je traverse les ombres, je sens tout mon corps réagir, comme si une part de moi se sentait soudainement dans son environnement naturel. J'ai un coeur d'ombre et de ténèbres. Et je dois sublimer cet héritage.

Je faisais tournoyer un carreau entre mes doigts. J'observais sa pointe, songeuse. Les Seigneurs de l'Ombre sont immortels. Héros de la rue, leurs exploits sont célèbres dans tout Telflamme ... Je me souviens lorsque je traînais dans la cité, à la recherche de quoi manger, et que j'entendais les gens parler des Seigneurs ... Insaisissables, inaccessibles, intouchables et immortels.

Insaisissable, je l'étais déjà. Intouchable, également. Immortelle ... Je continuais à regarder mon carreau. Il était temps de passer au dernier stade. Je me levais, et plaçait le carreau dans l'arbalète qui me faisait face. Elle était entourée d'un complexe mécanisme de cordages et de poulies, qui me permettait de l'actionner à distance. J'avais mis à profit ma connaissance des pièges – aussi maigre qu'elle soit en ce qui concerne leur conception – pour mettre en place ce mécanisme grossier. Je testais le mécanisme ... Le carreau fila, et se planta au sol, à quelques mètres. Parfait.

Je réenclenchais le tout, rechargeant l'arbalète, puis allait m'installer là où le carreau s'était planté. Bon, ma petite, pas le moment de te louper, sinon tu va canner comme une débutante ... Je fixais l'arbalète qui portait ma mort, inspirant profondément. Il fallait être concentré. Au moment où elle pénétrera ma chair, à un instant précis, il faudra que je me fonde dans les ombres ... Que je les laisse me happer dans l'autre monde ...

Je repensais à mes entraînements, lorsque Mikhaïl testait mes réflexes et ma rapidité, ou lorsque mon mentor m'apprit à éviter des coups mortels en roulant sur le côté ... Il faut acquérir une telle maîtrise de son corps qu'il réagit au quart de tour ... J'estimais la distance ... Je repensais à Mikhaïl ... Il était temps. Je tirais un coup sec sur la corde. Un claquement retentit, le carreau fila sur moi ... Il était temps.

J’étais dans la taverne du port, je reconnaissais les lieux. C’était la salle avec la grande table. Il n'y avait personne, et j’étais allongée ... Par contre j'avais un fichu mal de crâne. Je me levais difficilement, portant la main à ma gorge ... Elle était intacte. Je me souvenais vaguement de la scène à la taverne abandonnée, de l'arbalète ... Je me souvenais avoir sentit les ombres m'envahir, un froid intense, je croyais que c'était la mort ... Je pensais à la taverne des roublards, je pensais à cette salle commune ... Et ce furent les ténèbres, puis le réveil. Sortant de la taverne, je regardais le ciel. Il était tard ... Une bonne journée s'était passée entre le moment où je m’étais tirée dessus et le moment où je me suis retrouvée ici ... Rapidement, je quittais la ville, passant par les ruelles et les issues les moins connues de la garde. Je m'enfonçais ensuite dans la forêt, jusqu'à la taverne abandonnée ... Dans l'arrière sale, un carreau est fiché là où j'étais assise. Je ne pus m'empêcher de sourire.

J'avais réussis. J'ai une âme d'ombre, un cœur de ténèbres.

XVIII – Le temps de l'innocence

Il me regardait de son air le plus mesquin possible ... Il m'observait, ricanait ... Satané halfelin. Le décor était atroce, une chambre faite de visages grimaçants de dizaines de personnes inconnues ... Il y a du sang partout ... Je me suis jetée sur mon maître hilare, et le sol s’est dérobé sous mes pieds. Puis je suis tombée ... Tombée ... Tombée dans une foule de guerriers en armure de pourpre et de ténèbres. On me déshabilla, on me traîna, on me frappa ... On m'attacha … je suppliais, je hurlais, mais les soldats continuaient leur tâche. C’est à ce moment qu’un homme est entré dans ma cellule ... J'entendais des rires, des rires de dizaines de personnes que j'avais connus, des ennemis : mon maître, la femme qui m'a torturée ... Et lui ... Sa Volonté. Il entra dans la cellule, riant ... Il avait une voix atroce, semblant énervé et jubilant tout à la fois ... Il me tortura, me disant qu'ils étaient tous morts ... Je les voyais autour de moi, mes subordonnés, mes amis ... Le Masqué, la Rose, et tous les autres ... Ils hurlaient, puis étaient réduis en poussière. Puis un immense crâne apparut, tandis que des flammes pourpres me dévoraient ... Et ...

Et je me réveillais. Pleine de sueur, emmitouflée dans une couverture dans un coin de l'auberge abandonnée, j'essayais de reprendre mes esprits. Encore le même cauchemar ... Je commençais à m'y faire. Il finira par partir ... Du moins je l’espérais. Les Fous me hantaient depuis qu'ils m'avaient « libérée » de leur île maudite. Me levant, je prenais le chemin de la sortie. Il faisait encore jour dehors, le soleil me piquait les yeux, surtout le gauche ... Les Veilleurs ont profités de mon séjour à l'hôpital pour faire de moi une femme neuve, mais mon œil gauche n’était plus habitué à fonctionner correctement. Là aussi, il faudrait du temps. En attendant, je m'habituais à maudire l'astre solaire et sa lumière si irritante. J’allais alors m'asseoir, protégée par l'ombre des arbres de la forêt de Luskan.

Finalement, le crépuscule salvateur finit par tomber. Je pus reprendre mon chemin vers la ville. Je pris mes passages habituels pour éviter les patrouilles et rejoindre les toits. Il est si facile de se déplacer, de nuit, par les toitures de la cité des voiles! J'avançai … je courus et ... Je finis par glisser. Je parvins à me rattraper in extremis, et a me hisser en hauteur tant bien que mal ... Pour mes réflexes aussi ... Il faudrait du temps ...

Je me sentais diminuée ... Je n’étais plus que l'ombre de moi même. Ha! Je n’étais plus que l'ombre d'une ombre, voilà un paradoxe amusant. Les cyricistes avaient presque réussit à détruire ma vie. Mais Mask avait entendu mes prières et m'avait rendu mon oeil ... Et a permis aux membres de l'Organisation de survivre. Je leur avais survécu, au fond ... Enfin, disons que bien que diminuée et faible, j’étais vivante. Satanés cyricistes, où que je pouvais aller, ils s'évertuaient de faire de ma vie un enfer. Mais qui suis-je pour les combattre ... Ils sont trop ...

Mon regard se porta vers l'ouest, vers l'horizon. Ce que j’étais ... Seigneur de l'Ombre. Et je saurai un jour protéger les intérêts et les membres de l'Organisation, afin que les ombres puissent vivre tranquillement. Je repensais aux apprentissages de mon petit maître. Je repensais à ce que j'ai appris depuis que j’étais sur la Côte des Epées. Il me manquait encore une chose. Il me fallait encore m'entraîner sur un point avant de devenir un Seigneur.

Je repris ma course, filant vers la taverne où nous nous réunissons. Il était là, le Masqué ... Il discutait avec des membres. Je bondis jusqu'à lui, il se retourna, et me salua. Je plongeai mon regard dans le siens ...

« Masqué ... Apprends moi à tuer. »

Il était loin, le temps de l'innocence.

XIX – L'ombre de la Mort

Le grenier était sombre et plein de poussière. L’aube commençait à poindre, et j’étais exténuée par une soirée d’entraînement. J’étais affalée dans un coin, fixant une fenêtre, me reposant un peu. Un chat passa … Sympathique animal. Les chats sont les créatures qui me ressemblent le plus, je suppose. Perdue dans mes rêveries, je n’ai pas entendu le Masqué revenir.

« Sombre Brise … Tu t’es assez reposée, debout. Qu’on en finisse. »

Je le fixais un instant. Il avait raison … Il fallait en finir. Je repris un de mes éventails, et m’approchait d’une des carcasses suspendues dans le grenier. Cela faisait des jours que je frappais des carcasses de porcs … Ou d’autres animaux. Il paraît que leur anatomie est similaire à celle des hommes …

« L’observation, Sombre Brise. N’oublie jamais cela. L’observation … »

Je ne l’écoutais qu’à moitié … Il se répétait, le pauvre. En fait, j’ai l’impression que toute ma vie, mes mentors s’étaient tous répétés : observer, réfléchir, agir. Dans tout les domaines, c’est ainsi que cela fonctionne, du simple vol à la tire à l’assassinat le plus précis. Regardant vaguement les gestes que le Masqué faisait, je compris qu’il était temps de frapper. Repliant mon éventail, je fixais un instant la carcasse suspendue … Puis je m’approchais. Un coup, éventail replié, sous le bras … C’est une zone douloureuse, mettant à mal l’adversaire. Mais cela, on me l’avait déjà plus ou moins appris. Un second geste, un second coup … Je dépliais l’éventail sur la gorge de la carcasse, l’ouvrant largement. Repliant mon arme, la rengainant, j’effectue un petit geste pour appeler les ombres autour de moi … Il ne faut pas être pris sur les lieux d’un meurtre.

« Tu bouges bien. C’est bien … Mais n’oublie pas, un adversaire mouvant, c’est une autre paire de manche. Il faut à tout instant savoir comment et où frapper, analyser ses mouvements, observer son armure, pour trouver LA faille, l’endroit où tu frapperas à coup sûr. Il ne s’agit pas d’indisposer ou d’affaiblir … Il s’agit de tuer. Tu ne dois pas faire de mouvements superflus … Un coup … Un seul. »

Le Masqué … Pour beaucoup, c’était un héros. Il savait tant de choses … Mais j’étais éreintée, je ne pouvais pas focaliser mon attention sur lui. Observer … C’était comme avant un vol. Vraiment. Se préparer à faire un geste, un geste qui devait devenir familier … Etudier la cible pour savoir comment opérer ce geste au mieux et … Agir. Un vol, rien de plus. Le vol de la vie.

Le Masqué finit par me libérer, et je pus passer la journée à récupérer des exercices de la nuit. Le lendemain soir, je quittais Luskan, et partit vers l’est. Là … Les minotaures. Cachée dans les fourrés, je les observais de loin … Ils étaient trois. J’allais tuer celui qui était debout … Et disparaître, laissant les deux autres derrière. J’étais une professionnelle ! Hors de question d’abattre plus que ma cible. Prenant un de mes éventails en main, je quittais lentement les fourrés … Les ombres de la nuit m’entouraient … Je m’approchais doucement … Trois mètres … Deux … Un …

Avec rapidité, je bondis devant le minotaure, et lui trancha net la gorge. C’était si facile, en fait, de prendre une vie … Les deux autres se relevaient, l’un d’eux abattit sa hache sur ma position. Pivotant sur le côté, je pus esquiver le coup. Ma cible tomba à terre, me bousculant … Je perdis l’équilibre … J’étais à présent à terre. Les deux autres créatures se jetèrent sur moi. Tant pis pour les dommages collatéraux. Je roulais sur le côté, tout en prenant mon second éventail, puis me remis sur mes deux jambes. Un des minotaures s’approcha, je lui plongeais mes armes dans les yeux … Un problème de moins.

L’autre me frappa … J’esquivais … Une douleur me traversa le bras gauche, un sang rouge sombre commença à perler par terre … Un geste de pavane … Innocence, mon démombre, s’extrait de l’ombre de mon adversaire, et lui transperça le ventre. Je le terminais de quelques coups d’éventail, avant de reculer vers les arbres, la main pressée contre mon bras gauche ensanglanté. Prendre la vie était plus difficile qu’il n’y paraissait. Je retournais à Luskan.