Nous sommes nées au milieu de la nuit, trois semaines avant celle que notre sorcière de mère l’avait prédit. Lorsqu’elle découvrit qu’elle était enceinte, elle offrit un sourire au ciel pour cet imprévu. Lorsque nous nous imposâmes à elle en cette nuit, elle vit cet événement comme un aussi bon présage.
Je pris les devants, et ma cadette me suivis de quelques minutes seulement. Nous nous nommerions respectivement Kaa’ossithéa, et Kaa’vielha.
Mère était Ongle de la Dame, et nous passions notre jeunesse sur les chemins, ne restant guère longtemps dans une ville ou un ban. Nous voyagions entre l’Est du Mitan Occidental et l’Aunauroch, tandis que avec mère nous apprenions sans mal les langues régionales, en contact avec les populations locales. Nous n’avions aucune appartenance à la terre, et mère mettait peu de temps à répandre le désordre et la crainte.
Nous n’étions que des gamines de sept années lorsque notre mère décida de nous emmener au temple de la Dame Destiné. C’était selon ses dires, le seul endroit ou elle pouvait nous laisser. Il semblerait qu’elle ait voulu reprendre sa liberté après avoir du s’occuper de deux fillettes pendant sept ans. Nous n’aurions jamais cru qu’elle nous abandonnerait ainsi, mais les Porte Poisse nous prirent avec elles.
Les premières années furent consacrées a l’initiation au dogmes, la première approche ne nous laissa en rien indifférentes, car nous avions toujours vécu jusque la en les suivant inconsciemment, tel que mère l’avait voulu. On nous gardait éveillées la nuit afin d’adresser nos prières à la Dame. Prières que nous passions la journée à apprendre, et le sommeil ne nous était jamais laissé à la même heure. Nous ne savions pas quand on allait nous nourrir non plus, et nous n’avions pas le droit de sortir de notre cellule.
Elles avaient eu le bon sens de nous laisser ensemble, et Vielha était la seule enfant que je côtoyais. Nous avions été crées ensemble, nous étions nées ensemble. On nous avait fait de même physique, mais nos personnalités étaient quasiment opposées. Du moins, c’est-ce que nous disaient les prêtresses.
Au fur et à mesure que les années passaient, nous avions plus de liberté. On nous laissait aller là ou nous le souhaitions lorsque l’on nous apprenait pas à prendre foi dans les dogmes, et y croire plus fort que le lien qui nous unissait toutes deux.
C’est vers notre treizième printemps qu’elles décidèrent de nous séparer. La différence de caractère ne les avait pourtant pas gêné jusque la. Je compris bien plus tard la raison de cette déchirure. Vielha avait la capacité d’apprendre rapidement les choses, mais n’y trouvait aucun intérêt. Bien qu’on avait mené notre vie selon les volontés de la Dame, elle avait su s’attacher à autre chose … A croire que la voie qu’avait choisi mère l’attirait plus que celle qu’elle avait choisi pour nous. J’embrassais ma sœur, ma tendre sœur, et la regardait me quitter. Elle était celle que j’aimais le plus, et resterait sans doute la seule femme que j’aimerais. Appart Dame Destiné, évidemment.
Dans ma solitude, je m’acharnais à mon apprentissage. Peut être était-ce un moyen de la combler, mais ma foi était réelle, et on m’entraînait sur la voie des prêtres. J’apprenais à accepter mes échecs, et allais même jusqu’à les apprécier. Tout imprévu devait être exploité, car c’était le destin. Et c’était la volonté de notre Dame. Je me rendais compte que nous étions tous prisonniers, et que la quête de liberté de chacun était du temps perdu. Nous ne pouvions lutter contre ce qui devait être, ce qui était écrit, et chercher à le faire serait mettre Beshaba sur son dos.
Je participais chaque nuit aux prières des Porte Poisse, et apprenait chaque geste, et chaque parole. Tout ceci traversait mon esprit et apparaissait comme une évidence. Et cela l’était, j’étais née sous les yeux de la Dame, et je me ferai digne de pouvoir être sa voix.
Après chaque prêche, je priais seule dans ma cellule vide. J’avais pris l’habitude de garder de l’alcool avec moi, et cette fois-ci était du vin. Je piquais mon doigt avec la pointe d’une dague, et laissais gouter mon sang dans la boisson déjà rouge. En cette nuit, j’offrais mon sang à la Dame, et espérais qu’elle écouta mes prières. J’enflammais le contenu du verre, et la brûlure que j’en gardais me laissais croire qu’elle m’écoutait. Je priais toute la nuit durant.
Lorsque je fut prête, on m’apprit progressivement à manier le fouet. Pendant un long moment ou je m’exerçais, je ne m’en sortais pas sans une plaie. Le maniement était bien plus complexe que celui d’une lame, et le mouvement de bras entier permettait l’efficacité de son utilisation. Alors que mon bras se levait vers le haut, je balançais mon poignet en arrière, la long lanière de cuir suivant le mouvement. C’est en mouvant mon poignet que je faisais claquer mon arme sur autre chose que sur moi-même. J’apprenais ensuite à être précise, et à frapper un endroit, ou une personne en particulier.
Mais cet entraînement représentait qu’une infime partie de mon temps. Je consacrais le reste de mon temps à prier, et c’est avec l’aide des prêtresses que je compris à manipuler la magie divine. Le sang de mère coulait dans le mien, et j’aurais pu moi aussi développer cette magie, mais il n’en était rien. Beshaba me reconnaissait comme son enfant, et me permettait enfin d’être sa voix. Plus ma ferveur était grande, plus mes prières obtenaient retour. J’étais certaine qu’elle avait laissé nos vie au sein de notre mère pour faire de moi son serviteur. J’en étais sure, c’était mon destin … Et je n’allais pas à son encontre. Je me laissais vivre comme il m’indiquait de le faire, comme il me l’imposait. Et je voyais en chaque sensation un signe de la volonté de ma Dame. Elle décida que je serai sa voix, et je le serai jusqu’au bout. S’ils ne la craignaient pas alors que je parlais en son nom, alors ils en subiraient son courroux. Je les maudirai, c’est-ce qu’il doit être. La Malchance s’abattrait à jamais sur eux.
Je voulais être la première à constater nos agissements, et je voulais également en être l'executant. Mais on m'appris rapidement l'utilité de nos assassins. Alors que les prêtresses annonçaient la malédiction, c'était à ce moment là que leur rôle prenait toute son importance. Ils l'appliquaient de manière subtile, cachée aux yeux de tous sauf des notres. S'ils fallaient qu'ils tuent, ils le faisaient. Ils étaient comme des pantins pourvus de l'intelligence et du talent, et nous étions les spectateurs de notre désordre. Nous étions dans chaque endroit ou l'on parlait de complot, et ils étaient là pour placer nos priants à des rôles importants. Les Portes poisses étaient les figures officielles du Culte, celles que tous craignaient, et les assassins tout le côté caché de leurs manigences. Je comprenais leur utilité et passais un certains temps en leur compagnie afin d'observer au mieux leurs techniques, et que notre collaboration soit la meilleure possible.
Je serai sa voix, et eux ...Ils seraient nos bras.
C’est au cours de mon trente-deuxième printemps que le mon Tatouage arriva. On m’emmena a l’extérieur au son des tambours. Un immense bûcher était dressé, et les flammes narguaient le ciel. Je voyais la paire de bois de cerfs, et je m’agenouillais. Beaucoup dansaient, beaucoup sautaient par-dessus les flammes. Et de ces mêmes flammes elles sortirent le fer rouge. Deux Ongles vinrent tenir mes jambes, et elles embrassèrent le dessus de mon pied gauche du fer, le marquant à jamais du symbole de la Pucelle de l’Infortune. La douleur du feu brûlant ma chair manqua de me retirer la conscience … Mais je tins bon. Je ne sentais pas même les aiguilles pénétrer la chair de ma cuisse afin d’y marquer mon nouveau rang. Je devais rester éveillée, je devais lutter seule.
Et je devenais Porte Poisse.
Je recevais ma robe de cérémonie pourpre et noire, ainsi qu’une robe noire, parsemée de rouge et de blanc. Je devrais cacher les tatouages à tous. Ils ne seraient dévoilés que lors de nos cérémonies.
Je quittais le temple et mes sœurs, pour me rendre sur les routes. Je reprenais la vie que j’avais mené toute jeune, mais c’était moi qui menais la marche … Je me rendais dans l’Aunauroch quelques années afin d’y laisser la marque de la Dame dans l’esprit des bédouins. Je retournais vivre un temps à Evereska … Un temps suffisant pour les effrayer, et leur montrer comment prier la Dame de l’Infortune. Et ils le feraient, j’y veillerai. J’avais également espoir de retrouver Vielha, mais mes appels restèrent muets. Je savais qu’elle était en vie, mais j’étais incapable de la voir. Peut être n’était-ce pas le moment …
Je compris en observant les autres cultes à l'oeuvre que nos façons de procéder étaient en tout différentes. Alors que certains offraient des promesses, apportaient des soins ... Nous, nous faisions respecter notre Dame par la crainte qu'elle inspirait. Nous faisions comprendre dans nos prêches qu'ils se devaient de lui faire offrande et inviter ses représentants dans les événements importants, ou bien il en patiraient les conséquences. Un mariage sans Beshaba sera emprunt de malheur, un reigne sera un échec, un riche marchand se verrait ruiné. Je m'exercais ainsi lorsqu'il le fallait. J'étais sa voix, mais j'étais aussi son bras offenseur. C'est ainsi que l'autel de la Dame reçut nombreuses visites en peu de temps. Je croisais nobles dans la disgrace, après les avoir fait perdre toute leur richesse acquises en jeux, car ils n'avaient souhaité en déposer une part pour Dame Destiné. Il fallait un certains équilibre. Et de peur de tout perdre pour certains, ou par volonté de mériter le pardon, il venaient. Je retirais leur malédiction lorsqu'ils avaient compris, et que la crainte d'une nouvelle leur serrait les trippes.
Je restais le temps nécessaire, puis laissais ma place à l'une de mes soeurs. Je n'avais plus ma place ici, puisque tout était en ordre.
Durant les années qui suivirent, je laissais mes pas m’emmener vers le Nord. J’avais entendu dire que le culte de la Dame de la Chance y était bien trop pratiqué, il me faudrait y remédier.
(BG terminé)