Année 1387, mois de Hammer - Le monastère Frère Grinow s'était encore perdu. Comme toujours, le quartier des temples de Triverrat était resplendissant. Trouvant enfin sa destination, il pénétra dans le monastère de sainte Morgane le Taciturne. Ou plutôt, il pénétra dans l'ensemble des bâtiments des serviteurs d'Ilmater. En effet, un hôpital, un orphelinat, deux petites chapelles de Torm et Tyr ainsi qu'un temple du Dieu brisé étaient collés au monastère, le tout formant une sorte de U. Au centre se trouvait une grande et belle cour, munie de nombreux espaces fleuris. Les bâtiments n'avaient pas tous le même âge, s'étant tous construit peu à peu durant l'histoire du monastère et de la ville.
En traversant la cour, frère Grinow passa devant plusieurs moines en train de méditer en essayant de faire le moins de bruit possible. Cela était absurde et inutile, mais il ne supportait pas de risquer de les déconcentrer. Pourtant, il savait bien que les moines méditant actuellement étaient ceux s'entraînant à faire le vide dans des situations particulièrement bruyantes.
L'organisation du monastère était assez stricte. Globalement, tout le monde se réveillait vers sept heure du matin. Les moines s'organisant alors pour préparer les activités de la journée tendis que certains d'entre eux préparaient la collation matinale. Les malades (suivant leur état) et les enfants sont réveillés pour pouvoir prendre ce repas à huit heures trente. Le repas doit être terminé avant neuf heures et quart, pour la grande prière : tous les prêtres et la majorité des fidèles présents y participent.
Il y a également six autres prières dans la journée mais leur horaires ne sont pas aussi fixes, les fidèles ne sont pas tous rassemblés et il est possible d'en "sauter" une à condition de la rattraper plus tard. Dans ce monastère, les horaires normaux de ses prières sont : dix heures trente, midi, deux heures, seize heures trente, sept heure et neuf heure trente. Chaque jour, des moines sont chargés de faire sonner une petite cloche à ses heures là.
A partir de neuf heure et demi, les "activités normales" reprennent : elles sont aussi diverses que variées... Il y a beaucoup de fidèles chargés d'un rôle d'enseignement : qu'il s'agisse des cours élémentaires de lecture et d'écriture aux plus jeunes, des enseignements monastiques, des nombreux cours sur la médecine, les plantes... Il y a aussi de nombreux entrainements martiaux, physiques et spirituels. Les prêtres prennent soin des temples et vont rendre régulièrement visite aux malades.
Des relais sont fait pour assurer que tout les fidèles participent à des tâches différentes et puissent avoir du temps pour s'entraîner (ceci est particulièrement vrai pour les moines, les prêtres et paladins étant bien plus libres et souvent de passage).
Le tout demande énormément d'organisation mais la discipline et les traditions du monastère font que le tout est devenu assez automatique. Le plus dur est d'entrer dans le système, d'en comprendre les rouages et de s'y intégrer.
Année 1387, mois de Hammer - L'enfant d'or Grinow traversa la cour et entra dans l'une des salles de classe aussi discrètement que possible. Tous les enfants qui participaient au cours se levèrent et prononcèrent, en cœur :
-Bonjour frère Grinow!
-Bonjour à tous! Reprenez place, je vais attendre la fin de vôtre cours pour parler au père Arthûr.
Ils reprirent place et laissèrent un vieux prêtre reprendre sa leçon. Père Arthûr Bonsourcil, la personne dirigeant tout le monastère et également l'un des ainés, du haut de ses soixante quinze ans, continua, passant dans la salle de classe en distribuant des racines :
-Les racines d'angélique s'utilisent en infusion. Elles sont utiles pour apaiser la toux, les douleurs pulmonaires et libérer le système respiratoire. Notez que j'ai bien dit "apaiser"! Pour guérir les maladies responsables des toux, il vous faudra user d'autres plantes ou moyens. Mais déjà, calmer la toux permet d'éviter l'irritation de la gorge. Ses plantes se trouvent en été, dans des zones particulièrement rocailleuses des montagnes. Nôtre climat est à peu près bon pour ce type de plantes. Demain, je vous apprendrais à préparer ses racines : ce sera tout pour ce matin. Allez ouste!
Les enfants s'empressèrent de sortir. Grinow constata que l'on d'entre eux partait sans son manteau. Il sortit sa tête dans la cour pour interpeller une gamine :
-Lucie! Ne sors pas sans veste ou tu vas finir malade!
La concernée, une petite fille d'une dizaine d'années à l'étrange peau dorée, aux yeux gris clair et à la chevelure châtain cachant partiellement des oreilles un peu pointues arriva. S'excusant devant le frère, elle entra chercher son vêtement d'hiver. Quand elle fut retournée dans la cour, il entra.
-Père, nous n'avons rien pus faire pour l'aîné des Dumartins. Il s'en est allé. Malgré son état, j'ai néanmoins put mener à bien la Conversion.
La Conversion est un rituel Ilmateri consistant à tenter de convertir les mourants au culte d'Ilmater. Non seulement cela permet aux âmes défuntes de recevoir la bénédiction du dieu brisé, mais cela permet d'augmenter le nombre de fidèles d'Ilmater, même s'ils le servent dans l'au delà. Ainsi, les pouvoirs curatifs de la divinité n'en sont que renforcés.
-Son état était particulièrement critique, hélas, nous ne pouvons sauver tout le monde. Et puis, contre la vieillesse nous ne pouvons rien.
Les deux hommes quittèrent la place pour aller regarder les enfants jouer dans la cour. Lucie avait déjà retirée son manteau qui reposait sur les épaules d'une fille plus petite.
-Elle n'écoute donc rien? Demanda Grinow en désignant la jeune Aasimar.
-De par nature, elle craint très peu le froid. Je suppose qu'elle étouffe dans un tel manteau. Mais elle n'est pas particulièrement désobéissante... Disons qu'elle préfère aider cette petite particulièrement frileuse tout en risquant de ce faire réprimander plutôt que de la voir grelotter. Depuis ses quatre ou cinq ans, nous sommes obligés de la surveiller à table pour s'assurer qu'elle se nourrisse correctement : elle a bon appétit, mais n'hésite pas à donner une grande partie, voire toute sa nourriture à ceux qui ont encore un peu faim. Elle passe une grande partie de son temps auprès des enfants qui ne parviennent pas à s'intégrer, son malheureux... Ou on froid, comme cette petite actuellement.
Frère Grinow observa Lucie en train de frotter le dos de la petite fille, pour la réchauffer.
-J'ignorais tout cela. Nous ne pouvons que l'encourager, mais n'est t-elle pas encore trop jeune pour suivre à la lettre les prétextes de nôtre dogme?
-Peut être, mais il s'agit de son choix. La mort de son père n'a fait que l'encourager à continuer sur cette voie.
-J'en ai vaguement entendu parler. Je suis arrivé quelques années après sa mort. Comment est t-elle devenue une orpheline, mon père?
-Lucie Grisargent, fille de Luna Grisargent et Saint Alderok Grisargent. Sa mère est morte en la procréant. Son père, lui même Aasimar, entreprit de prendre soin de sa fille. Il demanda donc à être muté ici, un choix judicieux pour que nous puissions l'aider. La mort de Luna l'a particulièrement marqué... Quand des orques menacèrent d'envahir la cité, il y a deux ans, je fus peu surpris qu'Alderok soit devenu un martyr. De nombreuses personnes lui doivent la vie, son sacrifice ne fut point inutile.S'est moi même qui l'ai recommandé pour qu'il soit canonisé. Lucie fut particulièrement attristée, mais ne le montra presque pas. Elle ne fit que redoubler ses efforts pour suivre la voie de son père, celle du dieu qui pleure.
-Et elle n'a que dix ans... S'est impressionnant. En comparaison, j'ai l'impression que ma foi est faible, chancelante.
-Elle est une preuve vivante de l'existence des êtres divins et de leurs serviteurs, comme son descendant, un Solar. Le jour ou elle ouvrit les yeux pour la première fois représentait pour le monde un des moments les plus purs et bons qui puisse être.
Année 1392, mois de Mirtul - L'exercice de la Cigogne
Lucie respira profondément puis se mit en place. Ce matin là, ils devaient tenir en équilibre sur de petites pierres plutôt bancales tout en essayant de méditer. Lucie ce concentrait sur le médaillon autours de son cou. En attendant de pouvoir suivre la voie de prêtresse, elle avait fait le choix de devenir moine. De nombreux prêtres d'Ilmater choisissaient également cette voie. Leur devoir les soumettaient à d'énormes blessures morales mais parfois, souvent même, physiques. Il faut être particulièrement endurant et résolu pour toujours se charger des souffrances de son prochain. Il faut également savoir accepter la souffrance sans réplique autrement que par des tentatives de persuasion.
Ainsi, la voie monastique, visant à atteindre la perfection du corps et de l'âme est une aide considérable pour endurer autant d'épreuves. Lucie était persuadée qu'une bonne partie des martyrs l'étaient devenus car ils n'avaient plus la force et le courage de continuer : ils avaient ainsi choisi d'en finir en se sacrifiant pour la bonne cause. La jeune Aasimar ne les en blâmait point et se doutait qu'elle se trompait probablement pour la plupart d'entre eux... Mais elle comptait bien devenir la plus résistante possible.
Cet exercice était particulièrement adapté pour les moines. Il forçait à garder l'équilibre, tout en devant faire travailler les muscles pour garder ce même équilibre. Faire le vide, méditer et ce concentrer sur un seul point tout en faisant cela demandait alors un contrôle de soit très important.
Les moines de son ordre travaillent énormément le corps par des exercices d'endurance, de souplesse mais également en s'entrainant à des arts martiaux. Ils s'entrainaient souvent à lutter pour s'entrainer à immobiliser et désarmer un adversaire : le but d'un moine Ilmateri n'est pas de faire du mal, de blesser ou de tuer mais d'empêcher l'adversité de blesser autrui. Savoir ce battre permet aussi de protéger des innocents de créatures telles que les gobelins et autres monstres qui ne méritent point la rédemption d'Ilmater.
Mais Lucie savait déjà que la plus grande particularité des moines, ce qui fait toute leur force ne réside pas dans le seul fait de savoir combattre et de garder l'esprit calme. Leur plus grande force réside en l'alliance du corps et de l'esprit : le Ki. En maîtrisant son corps et son esprit en parfaite harmonie, les moines sont capables de faire appel à cet énergie qui leur permet de décupler leurs capacités.
Lucie chuta.
"Je ferais mieux de me concentrer plutôt que de penser à tout cela!" se dit-t-elle. Elle se releva et reprit son entrainement délicat : elle était encore loin de la maîtrise qu'elle rêverait d'avoir... Pour devenir un moine doué, il faut énormément de temps, parfois plus qu'une vie peut en accorder : elle en avait bien conscience.
Après le cours, les futurs moines partirent à l'hôpital pour aider : rien ne vaut un peu de pratique et de travail sur le terrain, sous la tutelle des soigneurs confirmés, pour apprendre la médecine.
Année 1394, mois de Tarsakh - L'épreuve -Lucie, veux tu venir avec moi, s'il te plais? Appela le père Bonsourcil.
La jeune femme opina et approcha.
-Nous allons sortir un peu, nous avons à parler.
Ils sortirent donc, du monastère puis de la ville, allant se promener dans les champs et sentiers environnants. Le prêtre prit son temps avant de commencer à parler, ravi de constater à quel point cette situation peu commune intriguait Lucie.
-Lucie, tu es probablement l'élève la plus douée que j'ai jamais connu. Plus douée encore que ton père.
-Vous avez connu mon père...
-Quand il avait ton âge, oui. S'est moi qui l'ai formé. A t'il eut le temps de te parler de vôtre ancêtre, Lucie?
-Non, mon père.
-Alors, je vais devoir le faire à sa place. Ton ancêtre est un Solar, un ange céleste. L'union entre se Solar et un humain date d'il y a environs quatre siècles. Vôtre famille à largement prospéré et s'est agrandie au cours du temps. Même si tu es la dernière de la branche de ta famille, tu devrais pouvoir trouver de nombreux cousins éloignés. T'es t'il arrivé de mentir, de tricher ou de voler Lucie?
La question gêna la jeune femme, puis elle osa :
-Je mens et triche très rarement mon père. Je me sens si coupable que l'on remarque facilement lorsque je suis en train de mentir. Je n'ai jamais volé.
-Nul n'est parfait. Sache néanmoins que les Solars ne mentent pas, ne volent pas, pas plus qu'ils ne trichent. Un Solar est toujours bon. Ton ancêtre t'as donné cet héritage inestimable, ne laisse jamais ton coté humain le pervertir! Lucie, serait tu prête à suivre la voie de nôtre dieu, Ilmater?
-Oui père, je le suis.
-Te penses tu capable de suivre cette voie difficile, de défendre la juste cause quel que soit les risques, quel que soit la souffrance pour ton corps et ton âme? Te penses tu capable de donner ta vie pour cette cause?
-Oui père, je le pense.
-Serais tu capable de t'opposer à la Tyranie, à résister et dénoncer l'injustice?
-Oui père, je le pense.
Le vieux prêtre posa sa main sur l'épaule de Lucie.
-Dans ce cas ma fille, ce soir, tu partageras ton repas avec moi. Je te fais confiance pour savoir ce que cela signifie. Je t'épargnerais d'autres interrogations et un long discours lors de cette promenade. J'ai contribué à ton éducation et te connais comme un père devrait connaître sa fille. Maintenant continuons et ne soyons pas sortis pour rien : ramenons des herbes médicinales si nous en trouvons. Je te laisserais tourmenter la vieille personne que je suis de tes interrogations durant nôtre quête.
Le soir même, Lucie gouta pour la première fois de sa vie à un vin, nommé "sang d'Ilmater" par le vieux prêtre. Une fois plongée en transe, plusieurs prêtres et un mage du culte, convoqué pour l'occasion, furent chargés de vérifier si les pensées de la jeune femme étaient pures.
Dés le lendemain, elle passa une bonne partie de ses journées à suivre les enseignements du père Bonsourcil, qui commença par lui apprendre la langue de son ancêtre, le Céleste. S'est dans cette même langue qu'elle prononcerait plus tard ses incantations, quand Ilmater répondrait à ses prières.
Dans son désir d'aider autrui elle aura naturellement choisi le domaine de la guérison mais aussi celui de la force, pour être capable de contenir et endurer plus aisément les coups portés par les serviteurs du mal ou individus s'étant détournés du mauvais chemin.
Le dieu brisé lui accorda ses premiers sorts l'année suivante et elle fut enfin ordonnée prêtresse. Quelques mois plus tard, elle reçut sa première mission et quitta le temple.
Elle était appelée vers une ville qui avait grand besoin d'aide et ou le clergé du dieu qui pleure était dépassé : Padhivers.