"Avant toute chose, ne croyez pas que je fais ça par un quelconque sentiment aimable. J'ai été payée pour le faire. Bref. Je suis Werëarm de Waarn'ess, tieffeline à ses heures perdues. Barde à ses heures retrouvées.
Je voulais juste “rendre hommage” *mime les crochets* à ma saloperie d'adversaire de couture. Ces enfoirés l'ont buté alors que c'est MOI qui voulait la tuer avec des aiguilles, ou l'étouffer avec un dé à coudre. C'est triste, mais on s'en fout.
Elle est maintenant dans un autre monde, entourée de pelotes de laine, de mannequins super canons, avec une garde robe de plusieurs hectares. Alors nous n'avons pas le droit de la regretter. Les morts, y'en a tous les jours. C'est con si ça tombe sur quelqu'un que vous aimiez. Mais comme on dit, c'est la vie, et moi je dis c'est la mort.
Elle doit être triste de savoir que je vais pouvoir dorénavant me la couler douce, vendre ses créations aux enchères et me faire du fric sur son dos de macchabée. Et je suis contente que ça la perturbe dans son sommeil éternel. Non je l'aime pas. Ne le prenez pas mal, je n'aime personne, donc elle est pas si exceptionnelle que ça. Je l'imagine en décomposition, avec comme simple vêtement ses quelques lambeaux de peau qui tombent. Soyez pas choqué, et vous moquez pas, vous serez pareil, voire pire car Eo, elle, elle avait la classe.
Moi je pense aussi au fait que j'aurais pu être à sa place. Si je n'avais pas quitté Bryn Shanders, j'aurais pu me retrouver dans cette salle, à ses côtés, et mourir sous les coups adverses. Et là, le monde aurait été décadent, car les deux plus grandes figures de la mode auraient disparu. Heureusement, le destin a préservé la meilleure. *sourire entendu*
Personne dans cette salle ne connaissait Eowynn de la même manière que son voisin. Certains ont en souvenir ses « rolalaaa » méga chiants. D'autres, son petit tapement de pied de psychotique irritée *tape du pied*. D'autres, son sourire, et enfin d'autres ses nichons ou ses fesses -mais je veux pas savoir lesquels-.
Moi je me souviendrai d'une elfe avec qui j'étais en concurrence dans un domaine que nous aimions toutes deux. Je me souviendrai d'une elfe chiante avec qui j'avais envie d'en découdre, sans jeu de mot. Je me souviendrai d'une elfe qui dirigeait son
patelin pourri avec une certaine classe, et qui était -yeurk- aimée de ses habitants.
Que le temps nous vole des choses, c'est normal. Que des gens nous volent ce qu'on apprécie, ce qu'on aime, ce en quoi nous sommes attachés... c'est normal aussi. Elle est crevée, morte sous des coups, et elle a souffert car forcément, une épée dans le bide ça fait mal. Mais elle n'a pas eu le temps de se triturer le mental pour se poser des questions de justice ou de vengeance. Vous êtes là pour le faire pour elle, et elle le sait. Elle doit tous vous regretter plus ou moins, puisque vous êtes ici même. Enfin, ptêtre qu'elle en avait oublié certains.
Je ne parle pas pour elle, je déteste les bouches elfes. Je dis ce qui est évident et ce que vous devriez tous penser. Vous aimez à espérer qu'elle sait que vous êtes réunis pour elle. J'aurais aimé que ça soit parce que vous adorez m'écouter parler, mais bon, j'en doute. Ouais. J'ai des cornes. Mais être une elfe morte, c'est pire.
Eowynn, c'était une Duchesse. Un truc qui a préféré rester vivre au Nord pour ses habitants et pour ses causes, plutôt que d'aller batifoler dans une forêt paisible en mangeant de la salade. A mon avis c'était pas le bon plan. Elle a perdu, mais la partie pour elle a duré plusieurs années. On a pas son corps, c'est peut-être pas plus mal. On a alors toujours la vision de cette petite elfe pleine de vie, c'est le cas de le dire.
Au Nord en a vu défiler, des morts. Les 8/9ème -et encore je suis gentille- n'ont pas eu droit à une petite réunion telle que nous faisons aujourd'hui en sa mémoire. Elle, elle a le droit à la sienne, elle n'est pas englobée dans un groupe de gens, son nom perdu au milieu de pleins d'autres sur une stèle de pierre grise et morne, ou encore pire, simplement sous-entendue par une phrase générale.
A partir de là j'estime qu'elle est chanceuse, qu'elle n'a pas vécu pour rien.. et qu'elle n'est pas morte pour rien. Sur ce, chialez bien, buvez bien, si ça se trouve de toute manière les trois quarts l'auront oublié d'ici quelques années. Culpabilisez pas, ça fait partie de l'instinct de survie."
J'ai ainsi redit le texte que j'avais dédié à Eowynn, mais cette fois ci, pas au théâtre devant ces gens, ces gens qui n'en avaient eu rien à faire d'elle. Cette Leen, qui n'avait vu que mon sang de démon décréta qu'elle ne ferait pas le silence. Ainsi elle ne fit qu'entrecouper mon texte de phrases débiles. En plein milieux, elle me lança « douche glacée », j'a reçu dix litres d'eau sur moi.
Je continuais, trempée, glacée. Je ne m'arrêterais pas. Je terminerai ce que j'avais commencé. C'est ce que je fis. A un moment donné, j'ai failli craquer. Je leur ai dit de dégager. Ils n'ont pas bougés. « Celebloxë serait là que cette demi démone serait déjà étendue morte » décréta cette Leen. Ils ne voyaient donc que mon sang de démon. Je n'aurais pas pu terminer mon texte. Eowynn n'aurait eu qu'un petit début, sans fins. Ils s'en fichaient d'elle.
Ils ne la respectaient pas au travers des paroles que je disais. Ils trouvaient mon texte irrespectueux, ils disaient que ça n'était pas un hommage. Pour moi, c'en était un, et plus fort que ce qu'aurait pu faire n'importe quel gars lambda. Mais j'avais des cornes. Et ils considéraient qu'une descendante de démon ne pouvait pas faire ce genre de chose, j'imagine. Cela me prouvait encore une fois... Beaucoup de choses. Et cela me fit beaucoup plus de mal que je ne l'aurais cru.
Nous n'étions pas beaucoup, mais même si elle avait été toute seule, elle aurait réussi à tout gâcher. J'ai terminé mon texte. J'ai continué de parler là où dans un autre moment j'aurais foncé pour aller la tuer. Pour une fois je ne pensais pas à moi, mais à cette elfe qui était morte. Et eux, eux pensaient à moi, au lieu de penser à elle. Je n'ai pas réussi ce que je voulais faire, à croire que je ne réussirai jamais.. jamais rien.
Pourquoi avais-je essayé de faire quelque chose, qui me correspondait tout en voulant rendre hommage à cette elfe, que je ne connaissais pas plus que ça, que je n'aimais pas plus que ça? Est-ce que j'ai fait ça pour moi, ou pour elle? Est-ce que ce que j'ai fait pour elle, c'est juste ce que j'aurais aimé qu'on fasse pour moi? Est-on obligé de connaître les choses, pour pouvoir avoir du respect pour elles? Ne peut-on pas se couper de tout, faire abstraction de tout, en hommage à quelque chose, même d'inconnu? M'ont-ils prouvés que non...?
Ils n'ont pas essayé de comprendre, personne. Tout le monde est pareil. Qu'est-ce qu'il m'a pris d'essayer de faire quelque chose comme ça? Pourquoi je me mets à comprendre ceux qui ne seront jamais compris? Pourquoi j'espérais que les choses pouvaient être autrement? Pourquoi le fait que je sois une tieffeline, a tout gâché?
Je n'avais plus envie de rire. Ne pouvaient-ils pas passer outre, juste quelques instants? Étaient-ils tous obnubilés par ma race au point de ne pas pouvoir m'écouter quand je parlais pour quelqu'un d'autre...? Quand je n'étais pas sur ma personne..? Est-ce que je suis comme ça, quand je m'en fiche? Aussi débile?
Suis-je plus intelligente que ces niaiseux, que cette niaise, que ce niais, que ces gens irrespectueux?! Est-ce que je suis comme ça?! Mais quand j'essaye de ne pas l'être, je vois mes réactions dans celles des autres. Et ça fait mal. Et j'ai mal.
Ne pouvaient-ils pas garder le silence, pour quelqu'un qui avait disparu? Pourrais-je me taire et respecter quelque chose que je ne connaissais pas, dite par quelqu'un que je ne connais pas? J'avais vu les gens qui étaient présents, qui s'étaient invités comme des intrus, comme des ignares, des aveugles, des crétins.
A quoi ça sert de faire tout ce qu'on fait, si quand on disparait on en arrive là. Je ne parle même pas pour elle ! Je parle pour tout le monde. Doit-on conquérir le monde, pour avoir une once d'attention une fois disparus de ce monde? Une once de crainte, de respect? Ou juste une once de souvenir...? Je ne veux pas que mon nom soit connu. Enfin, si. Mais j'aimerais qu'on se souvienne de moi, moi. Moi, vraiment moi.
Personne ne me comprend. Et quand je crois faire quelque chose que les autres comprendront.. Comme un simple hommage à quelqu'un de mort... Je vois que même ça, ils ne comprennent pas. Alors qui sont-ils. Auraient-ils préférés que rien ne soit fait, à propos de cette elfe? Mieux vaut le silence et l'oubli plutôt qu'un discours de cornue?
J'ai rejeté tout le monde, je suis partie juste après, trempée, glacée. J'ai envoyé chier Suzie, Gwennan, Dardan lui qui n'était même pas venu. Je n'avais pas le coeur à rire, et encore moins celui de faire semblant. Ils me voyaient comme j'étais vraiment, mais ils ne le sauront jamais. J'étais blessée au plus profond de moi même, j'en voulais au monde entier d'être aussi débile quand j'essayais d'être autre chose.
J'avais été renvoyée de plein fouet face à une réalité que j'avais essayé d'apaiser. J'avais bien raison. Ils ne me comprendront jamais. Je n'ai pas réussi à faire ce que je voulais, tout ça à cause de trois ou quatre débiles. Alors je me suis mise debout, seule, et j'ai redit ce discours qui paraissait vulgaire à certains, mais que moi j'aimais, parce qu'il me ressemblait et que je parlais de moi à travers une elfe morte.
J'aurais aimé qu'elle l'entende sans cette débile ou encore ce niais qui tous deux entrecoupaient ce que je voulais faire passer. C'était douloureux, j'avais posé beaucoup plus d'importances que je ne le croyais à ce texte. Alors oui. J'ai parlé seule. J'espère que ses oreilles pointues ont été assez grandes pour réceptionner cet encastrement de mots, même de là où elle est. J'espère que comme moi, d'autres l'ont fait, même seuls, juste pour elle. Car rien n'est plus pur quand on ne partage pas, car ça n'est pas transformé.
J'avais essayé de me dire que pour une fois, je pouvais partager quelque chose. He bien, ça n'est pas possible. Cet essaie est un échec, et donc je reprendrai ma vie normale, avec mes différents moi-même comme compagnons de route.
Pauvre Werëarm. A ce moment là je pensais que je valais mieux que tout le monde. Que ces gens étaient ridicules. Que c'est nous qui étions traitées de bêtes, mais que nous avions nos valeurs, et parfois elles valaient mieux sans le savoir ni le vouloir que ce qu'ils étaient.
J'avais été humiliée, et j'ai laissé passer pour cette elfe, pour cette morte. Mais cette Leen paiera.
Ce monde, je le déteste. Mais grâce à cet épisode, j'ai focalisé mon attention sur toutes les personnes que j'avais plus ou moins connues et qui étaient mortes. Je leur ai dit que je valais mieux que ces pecnos qui ne font les choses que par tradition. Je leur ai dit que parfois, mieux valait être oublié plutôt que d'être ignoré. Je leur ai confié mes peines, mes tristesses. Et j'aime à espérer qu'ils seront là quand je mourais, eux, à défaut de ceux encore vivants.
Le silence fit place dans la forêt après que j'ai eu terminé le discours. La nature avait été plus respectueuse que des gens. Elle me laissa avec mon silence qui me fit du bien. J'étais loin de cette civilisation, de ce monde qui causait ma souffrance et ma perte. J'aurais voulu que d'autres comprennent ce que je voulais faire passer, et à quel point cela pouvait être important pour moi. Mais non. Alors tant-pis. Je suis condamnée à continuer d'être aussi tourmentée. On me donne toujours raison. Le monde, ces êtres, me donnent toujours raison.
Bonne route, Eowynn. Volontaire ou involontaire? Je ne sais pas. Mais tu peux être sûre que moi, descendante de démon, qui ne te connaissait pas beaucoup, j'ai pensé à toi.