En ce jour béni de la Déesse, la célébration de la Nuit Fatale eut lieu.
Des tables avaient été dressées et chargées de victuailles, aux frais bainites (une fois n'est pas coutume, signalons-le). Des fûts avaient été apportés et mis en perce sur les lieux même du banquet, au cimetière de Lorgol, choisi pour l'immaculée blancheur de son symbole.
Des gardes de la ville surveillaient la foule croissante de gamins affâmés et de gens hagards. Les frimas de cet hiver si long en démoralisaient plus d'un. Les yeux avides, ils contemplaient les tables lourdes des dons si inhabituels. Quelques hauts personnages avaient fait le déplacement.
Chacun avança pour écouter la prière. Un petit mal pour un grand bien auraient dit les plus cyniques. L'espoir d'une acalmie climatique espéraient-ils tous.
La jeune prêtresse commança ses imprécations. Aube de Boisbrune savait qu'elle devait réussir cette Cérémonie, la plus importante de sa vie...et la dernière en cas d'echec lui avait promis l'Impercepteur Ajrarn.
O Divine, reçoit les mots de ta servante ! Que ton Saint nom résonne dans le blizzard !
Elle qui se contractait sur l'ampleur de sa tâche trouvait là les mots de réconforts qu'elle avait seriné dans son monastère. Ainsi, ses paroles coulaient de ses lèvres avec la fluidité de l'exaltation. Elle suivait ses préceptes enseignés de longues heures mais apportait sa touche personnelle. En levant les bras vers les nues assombries, elle ressentit la douleur de ses blessures récentes et grimaça...Mais rien ne pouvait la dissuader de continuer. Elle en appela plus fort la Vierge de Glace.
O Révérée Mère de Givre ! Etends Ta main vers d'autres contrées qui ne connaissent pas encore Ta purification extrème ! Détourne Tes attentions afin de mieux revenir ! Que Ton courroux s'apaise en nos contrées !
La neige s'intensifia.
O Aube Glaciaire, devient le bouclier de notre corps, la nourriture de notre esprit, le réconfort de notre âme !
Son Jarl, Merena Almoth, toujours à propos, lança au loin quelques pièces d'or, imité en cela par deux esclaves qui laissèrent les oboles autour du cercle de rituel. Tels étaient les gestes des fidèles.
Elle ota alors son armure d'apparât et avança vers la mare gelée, accompagnée par le seul qui pouvait survivre à une telle épreuve, pour l'avoir déja supportée une fois, Merena. L'eau glacée cisailla ses jambes mais elle ne frémit pas...Elle s'enfonça lentement jusqu'à s'immerger complètement. Le froid pénétrait ses membres mais elle souffrait pour la déesse, pour ces gens qui priaient avec elle pour calmer l'hiver. Lorsqu'elle revint sur la rive, elle scintillait sous la couche de givre qui s'était formée sur sa peau.
Portée par le cri d'Aurile, qu'elle entendait en elle, Aube eut la force de poursuivre ses psaumes.
O Déesse des Glaces, Prends les offrandes de notre chaleur. Que cela soit l'extinction de ta colère funeste et du trépas des humains. Que la Nuit de l'Hiver Fatal soit le moment de renouveau qui rassurera tes fidèles.
Aurile sembla satisfaite puisqu'une pluie de grelons vint s'abattre sur les convives. Les flocons blancs avaient cédés la place à des filets tranchants. Mais cela montrait la satisfaction d'une Vierge de Glace répondant aux attentes de sa servante.
Ainsi put s'ouvrir le banquet et la distribution de victuailles, après les derniers mots de la prêtresse. Elle s'avança et prit la première coupe de vin d'hiver. Elle remercia la Déesse en déversant le contenu à ses pieds, sur la neige froide.
chacun eut son lot de nourriture, comme elle l'avait promis. Un flot de musique couvrait les voix de la populace.
Prière et Libation avait-elle dit...
Car ce jour est celui de la réconciliation de la fureur de la déesse et de la vie de ceux qui la subissent.
Heureuse, nymbée du pouvoir de l'Aube Glaciaire, Aube passait de convive en convive. Elle souriait enfin d'avoir accompli ce pourquoi elle avait tant souffert dans sa chair. La cérémonie avait eu lieu, malgré les obstacles...