Barbotant depuis une bonne demi-heure dans un bain parfumé, Eowynn se prélassait, sentant son corps oublier les épreuves qu'elle venait de vivre. Formant un cercle de son pouce et de son index, elle souffla lentement au centre, formant une série de petites bulles irisées qui s'envolèrent dans la pièce en silence. L'une d'elle se posa sur une besace en cuir de très belle facture, certainement magique, ouverte et renversée sur le tapis de laine devant la cheminée. Elle débordait de pièces et de gemmes desquelles dépassaient un pommeau d'arme en métaux précieux ou encore la chaîne d'or massif d'un médaillon non moins précieux. Une partie de son butin. Cette vision lui redonna le sourire. Elle avait souffert mais la récompense était à la hauteur.
Oh oui, elle avait souffert. Une course poursuite en forêt, puis plein plein de morts vivants tout moches, dans le croisement du nord. Là un truc avec des dents énormes l'avait regardée et elle s'était effondrée d'un coup, son coeur s'étant glacé. En revenant à elle, son corsage était défait et à côté d'elle se tenaient Drystan et.. Coralys. Ne sachant trop lequel des deux s'était activé sur sa poitrine pour la réanimer, elle se contenta de faire les gros yeux à l'elfe.
Puis ils avaient trouvé un portail qui donnait sur le repaire de l'invocateur des morts vivants. Mais il était énorme ! A commencer par cette succession de couloirs piégés dans lesquels ses compagnons d'un jour avançaient à toute vitesse, marchant sur des tapis explosifs, coupant les fils invisibles de pièges à pointes ou s'électrocutant sur des portes fermées. Il avait fallu deux morts pour qu'on la laisse faire, et encore ! Parfois, éliminant un mécanisme avec une méticulosité sans limite, elle entrait dans une pièce pour se faire pousser par les furieux qui tentaient de se précipiter sur les coffres avant elle ! Et PAF ! Une trappe, un monstre, une boule de foudre, du gaz.. O Erevan, et ce n'était pas les demi-orques les pires, loin de là !
Elle avait été pétrifiée puis sauvée, assommée puis réveillée, électrocutée puis réanimée, tétanisée de frayeur puis.. non, là elle s'était calmée toute seule. Au bout d'un moment, ayant trouvé le bon rythme, la rôdeuse Geriel et elle passant en tête, le groupe avançait bien plus efficacement. Eowynn avait même réussi à subtiliser le plus précieux du contenu de trois coffres, jusqu'à ce que le prêtre Asther se rende compte de quelque chose. Eh bien quoi, un prêtre n'a pas à être riche, si ? Les grenats et les billes de fronde ne lui suffisaient pas ? Comment ? Partager ? N'importe quoi, hein ! Bref, il la surveillait et elle avait eu plus de mal à escamoter des objets précieux à l'attention du groupe.
Puis, après avoir résolu une petite série d'énigmes avec des clés géométriques, ils étaient entrés dans une autre partie du complexe où se cachait un grand malade à la voix terrifiante de perversité. Il leur parlait parfois, une voix fantomatique sortant de nulle part, se moquant d'eux dans des termes très énervants. Heureusement, il y avait Drystan pour la rassurer un peu. Elle savait que son sauveur multirécidiviste ne la laisserait pas tomber dans ces souterrains humides.
Là, une énigme les attendait. Une série de chiffres sur deux piliers devaient leur permettre de déduire une combinaison qu'ils devaient entrer à l'aide de dalles numérotées au sol. Bien entendu, c'est encore elle qui s'y colla, sautant gracieusement sur les dalles pour le grand plaisir du pervers qui les observait par magie. Il demanda qu'Eowynn se déshabille en échange d'un indice ! C'était totalement inacceptable ! Elle refusa tout net. Cependant... ses compagnons demeuraient secs sur l'énigme et plus le temps passait, plus elle sentait qu'ils allaient lui demander d'ôter ses affaires, où qu'ils allaient s'en charger eux-mêmes... Geriel sauva sa pudeur en se mettant elle-même en petite tenue, puis.. sans tenue du tout ! Rholalaa !! En y repensant, la tête de tous les hommes de la salle ! Enfin, elle avait obtenu des indices et Arlann, une grosse brute verdâtre, trouva la solution de l’énigme ! Une simple addition ! Les érudits étaient morts de honte, un demi-orque venait de les ridiculiser.
La suite était moins joyeuse.. Eowynn fut parcourue d'un frisson malgré la chaleur de l'eau parfumée. Au fond du couloir, deux issues. L'une avec un trou insondable et une serrure... avec la clé, il serait sûrement possible de boucher le trou ou d'activer un pont.. mais ils n'avaient pas la clé et la serrure n'était pas crochetable. Il restait l'autre côté. Un couloir vide de tout, aux murs, au sol et au plafond parsemé de trous étranges... Bien rapidement, en jetant des choses sur le sol, le groupe se rendit compte que tout poids faisait jaillir des lames terriblement acérées de chaque trou. Elles étaient capables de broyer la pierre dans ralentir. Ils étaient coincés.
C'est là qu'Eowynn eut la pire idée de sa vie entière. Au lieu de rester bien à l'abri à l'arrière du groupe, laissant les érudits ou l'un des deux demi-orques trouver la solution, elle tenta de voir si une pression sur les murs activait les lames. Ce n'était pas le cas ! En escaladant le mur, aidée des trous, elle devrait pouvoir progresser le long du couloir. Il fallait juste éviter de poser le pied par terre ou de laisser tomber un truc...
Elle se hissa et débuta sa progression. Après une dizaine de mètres, elle arriva à une alcôve qui contenait une statue. Prenant appui sur cette dernière pour se reposer les bras, elle poussa un cri. La statue bougeait ! Elle était dans un équilibre totalement instable certainement pour piéger des gens comme elle ! Le bloc de pierre sculptée tombait déjà vers le sol.. les lames allaient jaillir.. de partout ! Elle hurla se blottissant dans l'alcôve, se faisant aussi petite que possible. Les lames entrèrent en action sans une once d'hésitation, transformant la statue en petits graviers épars dans un vacarme tétanisant. Eowynn s'arrêta de crier quelques temps après que la dernière lame ait regagné son trou.
Terrorisée, il fallut toute la persuasion de Drystan pour qu'elle se calme et reprenne son escalade, les mains tremblantes. Après plusieurs dizaines de mètres et deux coudes, elle n'entendait plus les discussions du groupe. Elle n'en voyait pas la fin de ce fichu couloir, et elle avait mal partout ! Tellement mal que son bras droit se tétanisa, rejoint par le gauche. La terreur de tomber lui paralysa les jambes. Elle était accrochée désespérément à deux trous au centre du couloir, elle ne pouvait plus avancer, elle allait tomber, là, elle le savait.
"DRYSTAAAAAAANNNN !! "
Elle hurlait.. que pouvait-il faire pour la sortir de là ? Elle ne savait pas.. elle appelait, c'est tout, et elle glissait, elle glissait, son coeur s'emballant. Sortie de nulle part, une petite fée s'approcha d'elle..
"Calme-toi, pupuce, calme-toi, accroche-toi et relâche doucement une main, détends-la, ça va passer, tu vas voir." Disait la petite fée..
Eowynn, ne comprenant pas d'où venait cette fée ne se posa pas de question, acceptant l'aide comme elle venait. Assurant sa prise de la main gauche, elle fit un effort pour retirer sa main droite de la cavité, étira son bras, sentant les contractures se relâcher, petit à petit. La fée avait raison, elle allait s'en sortir. Elle lui sourit.
Sa main gauche glissa sans prévenir, son corps débuta une lente chute vers l'arrière. La petite fée était toute paniquée, ses grands yeux verts regardant Eowynn tomber au ralenti vers le sol et ses cavités. Un choc sourd dans son épaule, puis la hanche, Eowynn se retourna à temps pour voir une lame monter vers son abdomen, qu'elle évita par une contorsion réflexe, mais une seconde traversa sa cuisse, une troisième son nombril et elle perdit le compte, dans un brouillard écarlate de lames entrant et sortant du sol, la ballottant comme une poupée désarticulée qui n'était même plus capable de crier.
Elle ferma les yeux dans son bain, se recroquevillant en position foetale, tentant de chasser de sa mémoire le souvenir de ces instants... se concentrant sur les yeux de la petite fée, horrifiés de ce qu'elle contemplait.
Ce n'étaient pas les yeux de la petite fée qui la contemplaient lorsqu'elle rouvrit les siens, mais ceux de Drystan. Ils avaient la même expression angoissée, et cela l'amusa. Elle ne savait plus où elle était. Elle se sentait bien. Elle respirait sans difficulté ne ressentait aucune douleur, ce qui était totalement improbable. Une grande fatigue pourtant se faisait sentir, comme une envie de rester là, allongée, sur le sol parsemé de cavités...
Elle comprit alors que les autres avaient réussi, elle ne savait comment, à faire cesser le mouvement des lames, et qu'ils l'avaient soignée. Coralys, sûrement, ou Asther. Elle se regarda, ses vêtements seuls témoignaient encore de ce qui lui était arrivé. Elle ne portait plus que des lambeaux imbibés de sang. Tout était déchiqueté. Elle accepta une cape de Geriel. Elle se redressa et suivit le groupe, machinalement. Incapable de courir, incapable de penser à manier son arc elle se contenta de marcher derrière, pendant des heures. Elle sortit de cet état dans une pièce étrange, emplie d'obscurité, dans laquelle Drystan avait trouvé un coffre. Protégée par un sortilège de Coralys, elle s'appliqua, pour ne décevoir personne, à crocheter à tâtons cette serrure.. qui projeta un dard empoisonné vers elle. La peau de pierre fit son office, renvoyant le dard, et Eowynn, plus par le biais de sa longue habitude qu'autre chose, pu ouvrir le coffre et en sortir la clé. Cette clé pour passer la fosse.
Le reste de l’aventure est une succession de combats, le groupe ne trouvant soudainement plus aucune utilité à se trimballer une elfe affaiblie. Elle vida deux armoires d’une sorte de château où ils n’étaient pas sensés se trouver, ramassa deux ou trois choses qui brillaient sans même s’en rendre compte, et tout le groupe pénétra dans une très jolie salle du trône, où le dément les attendait. Ca ne fit pas un pli ! Dame Mia, Coralys et le chevalier Revan se jetèrent sur le pervers et son escorte, qu’ils expédièrent en deux retournés de lame.
C’est tout naturellement qu’Eowynn se dirigea vers les appartements du mage fou, pour tenter de rembourser sa tenue déchiquetée et ses bottes lacérées en se payant avec les possessions du mort, mais elle s’attira les reproches, remarques acerbes et leçon de morale de tous ces braves gens, qui avaient apprécié sans broncher sa capacité à leur éviter les pièges et le défonçage de porte. Mais le palais s’effondrait, l’encourageant à sortir au plus tôt. Une fois dehors, les critiques se déchaînèrent. Elle était épuisée, son corps engourdi, vêtue d’une vieille robe de récupération, pieds nus et ces gens lui reprochaient d’avoir dépouillé des morts, ou d’être … cupide !
Le chemin du retour se passa dans un silence pesant, Eowynn totalement concentrée à placer un pied devant l’autre, ne tenant debout que par la perspective d’ôter cette robe sale et de plonger dans un bain. Arrivés aux portes de la ville, Coralys jeta une pièce de cuivre dans l’herbe à ses pieds, lui lançant un : « pour le service… ». Elle l’avait blessée, bien plus durement que les lames du couloir.
Eowynn lui avait certainement sauvé la vie, mais elle ne le savait pas, cette grande perche musculeuse. Elle se pensait supérieure, elle se croyait moralement plus élevée. Savourant les mouvements de l’onde autour de son corps, elle pouvait repenser à cette minable réplique sans colère. Eowynn n’avait jamais assassiné personne, elle. Elle ne priait pas le dieu de la vengeance, elle. Elle avait un époux aimant, elle. Elle s’habillait avec goût, elle. En fait, puisque cette leçon de morale provenait d’une personne qui avait tellement de choses à se reprocher, elle tombait vraiment à plat.
Elle décida que les remarques de Coralys glisseraient sur son indifférence, se laissant bercer dans les volutes parfumées de son bain moussant, alors que la chaude lueur du feu de cheminée projetait de chatoyant reflets sur les trésors qu’elle avait ramenés de son épuisant périple.
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