Lùmequenta Nallëquendi ou l'histoire d'une communauté.

Origine

Dans une clairière de la forêt de Luskan, loin, bien loin de toute route pratiquée, des silhouettes s’étaient assemblées silencieusement, sortant de la brume légère du matin. Les premiers chants d’oiseaux résonnaient entre les colonnes de lumière douce tombant depuis la voûte des arbres centenaires.

L’elfe vêtue de noir, tenant un bâton d’un blanc éclatant, salua ses compagnons avant d’ôter sa capuche, révélant une chevelure d’ébène retenue sur sa nuque par une broche d’ivoire. Elle se nommait Eärendil. Ses compagnons, vêtus respectivement de brun, d’azur et de gris-argenté, étaient Glebrien, Kelyan et Amï’lrâdïrr. Les douces paroles prononcées en elfique sonnaient comme un poème récité à quatre voix, dans une harmonie agréable, cependant les elfes réunis tenaient conseil. Les compétences de ses membres étaient toutes différentes, leurs origines aussi, mais cela formait une complémentarité qui leur fut bénéfique.

Dans la clarté diaphane du petit matin, furent évoqués les sujets de leurs préoccupations, au centre desquelles se trouvaient les agressions dont étaient victimes les membres de la nation Elfique. Nombreux étaient les Premiers-nés parcourant ces terres humaines, nombreux étaient ceux qui s’étaient détournés de la Seldarine, parfois pour des cultes bien sombres. Le rayonnement de Lunargent ne s’étendait pas aussi loin vers l’ouest et les elfes demeuraient livrés à eux-mêmes. Les menaces orque et gobeline, celle des duergars ou des maudits d’Ombreterre ne pouvaient être contrées, en ces terres, que par l’union. Tous quatre furent d’accord, tous connaissaient des frères et des sœurs qui viendraient les rejoindre.

De ce conseil, les quatre elfes s’éloignèrent sans bruit après s’être salués. Une communauté était sur le point de naître.

« Il l’a senti, Kelyan. Notre Vénérable l’a vu se dresser au centre de la forêt de ce monde. Il étend sa présence à travers ses enfants jusqu’aux frontières des terres des humains, puisant sa vie dans la magie même de la terre et son souffle dans les vents capricieux. »

Le rôdeur contemplait Eärendil, le cœur bondissant d’un espoir nouveau. Amîlrädîrr Aävë’läs Deelwën, leur guide spirituel détenteur de la voix de Corellon, était apparu à l’aube naissante dans la clairière des Vertes Collines, sa méditation aux franges de la conscience lui avait apporté une réponse à leurs désirs. Eärendil poursuivit :

« Il vous faut le trouver Kelyan, et vous laisser découvrir par lui. Glebrien dit qu’il nous a sentis mais aussi que sa prudence est extrême. Le monde a changé depuis sa naissance et il ne reconnaît plus les Premiers Nés. Il est bien qu’Alanna vous accompagne, mon ami et l’espoir des nôtre sera votre lumière vers Celui que nous ne devons pas décevoir. »

Les deux elfes vêtus d’azur quittèrent la clairière dans les premiers rayons de soleil pour disparaître de la vue de leurs amis, entre les arbres complices de la forêt du Padhiver. Nombreux étaient les Premiers Nés à les avoir rejoints, et chacun avait une personnalité qu’ils avaient appréciée. Eowaraldur, cet érudit posé, ou Sywyn, ombrageux mais talentueux, Drystan et Sylnoria, qui veillaient, inséparables, sur la forêt du nord, et tant d’autres encore, tous leur étaient chers à présent.

Dans le murmure irréel d’une nature voyant passer les premiers Tel-Quessir depuis des éons, Kelyan et sa compagne Alanna progressaient vers le lieu de la vision d’Amîlrädîrr. Les pas des elfes ne dérangeaient pas les feuilles dorées tombées sur le sol et le souffle de leur respiration se mêlait à celui du vent dans la ramure. Progressivement, la végétation se transformait, semblait évoluer, confirmant au rôdeur que leur chemin était le bon. Le monde autour d’eux résonnait d’une vibration profonde dont l’origine semblait se trouver au sein d’une vallée dans laquelle des deux elfes venaient de pénétrer.

Alanna et Kelyan abandonnèrent leur allure rapide, leurs pas devenant plus lents, plus hésitants. Ils se rapprochèrent et leurs mains se rencontrèrent sans qu’ils n’en aient conscience, car ils venaient de pénétrer dans un des lieux sacrés de ce monde. Timidement, le couple avança dans cette vallée encaissée entre d’antiques falaises, parsemée d’arbres dont les plus jeunes avaient poussé avant que la première pierre de Padhiver ne fût taillée. Mais en son centre se trouvait celui dont tous ces arbres étaient les arrières petits enfants.

Toute la lumière du jour paraissait attirée par son feuillage immense dont la voûte protégeait la vallée toute entière. Tombant de ses branches titanesques, des colonnes de clarté semblaient les soutenir. Son fût colossal aurait pu prendre naissance au centre même de ce monde et les deux elfes comprirent que la vibration profonde qui les enveloppaient maintenant totalement était le chant de l’univers, dont l’Arbre des Origines reprenait solennellement les accords.

« Manaquentanornë… »

Dans ces gestes secrets que les Tel-Quessir pratiquent de manière innée, ils s’approchèrent de l’Arbre des Origines qui les avait appelés et ils se présentèrent, se laissant connaître, laissant l’Arbre les apprécier.

« Le monde a changé depuis sa naissance et il ne reconnaît plus les Premiers Nés. »

Le temps s’écoula dans la vallée cachée, Nuldanandë, mais il avait fallu ce temps pour que l’Arbre se souvienne de l’époque où les Elfes l’honoraient et pour qu’il accepte de les accueillir de nouveau.

Lorsque Kelyan et Alanna sortirent de la brume dans la clairière des Vertes Collines, bien des jours plus tard, la Communauté les accueillit silencieusement. Les Tel-Quessirs s’assemblèrent pour entendre ce que les deux elfes avaient à leur révéler. Kelyan ne prononça que trois mots :

« Manaquentanornë omesë amatírë »*



(*l’arbre sacré nous attend)

Aux premières caresses de la lune, le saule blanc avait été consacré, et des chants millénaires s’étaient élevés au cœur de la forêt en hommage au père des elfes, jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Alors, dans un ballet hors du temps, les mains douces des artisans avaient effleuré les lignes du bois immaculé avant d’en extraire doucement les éléments d’une charpente, qui prenait forme dans la vallée cachée. Nul métal ne pénétrait les poutres pour les assembler, les charpentiers Tel-Quessir faisaient appel à des formes géométriques particulières, à des emboîtements ou à la propre résine des saules choisis pour cette œuvre.

Ils étaient peu nombreux pourtant, et ils avaient redouté de ne plus trouver ceux qui avaient encore le savoir. Mais les échos de leur entreprise avaient attiré certains talents et ils progressaient. Eärendil veillait sur les artisans, ses enchantements venant appuyer les bénédictions d’Amîlrädîrr, le prêtre de Corellon. Progressivement, la structure prenait forme, harmonieuse, équilibrée. Aucun plan ne décrivait ses contours car ceux-ci leur avaient été dictés par l’Arbre Sacré lui-même. Il serait leur hôte et leur demeure, il le voulait ainsi, et l’alliance des Premiers Nés avec le père des arbres prenait forme entre les mains des charpentiers.

De leur côté, Alanna et Kelyan étaient repartis vers Luskan à la rencontre des elfes du Val de Bise, et chaque nouveau contact était une source de réjouissance, comme Andoril le barde facétieux ou la douce Meassa, l’elfe de Lune à la flûte d’argent. La place de Luskan s’était peuplée d’elfes, un soir, ils avaient formé un cercle, avaient échangé de calmes paroles et le chant de la flûte s’était élevé dans la nuit. Un instant magique au cœur de la cité humaine, pendant lequel les humains s’étaient arrêtés pour écouter, pour rêver avec les Premiers Nés. Mais certains ne voulaient pas rêver, ou ne le pouvaient plus. Les Tel-Quessirs furent hués, insultés. Certains humains les défendaient cependant, mais les elfes ne voulaient semer aucune discorde et quittèrent la cité.

Bientôt, le rassemblement aurait lieu. Bientôt, la clairière se peuplerait des silhouettes gracieuses du Beau Peuple et les rôdeurs les guideraient vers la Communauté. Alors, chacun pourrait contempler l’Arbre et se fondre dans le chant du monde, tous pourraient retrouver la magie fondamentale qui avait présidé à la naissance de leurs aïeux. Et tandis que les Elfes des cités du Val de Bise se réunissaient en lisière, un arbre gigantesque au cœur de la forêt accueillait dans sa ramure l’œuvre des artisans, sous le regard de l’ensorceleuse au bâton blanc.

Le velours noir de la voûte céleste s’était paré d’une myriade de diamants étincelants. Un croissant de lune, fin comme une aiguille courbe, débutait son voyage nocturne. Sur le rocher plat baigné de cette clarté stellaire, au centre de la clairière, reposait un corps.

Des pétales de rose et de tulipe avaient été déposés autour de lui comme pour rendre la roche plus douce, des filaments de fumée odorante montaient doucement de l’encens qui se consumait au bord du rocher. C’était un combattant, son armure dorée avait été soigneusement nettoyée des traces de sa dernière bataille, et les cieux s’y reflétaient comme sur un miroir. Les mains du guerrier avaient été jointes sur sa poitrine, tenant le pommeau d’une épée de grande qualité, dont la garde aux entrelacs elfiques révélait la provenance. Son visage était serein, ses cheveux dorés tombant en cascade sur la pierre, un sourire demeurait sur ses lèvres.

Une note de flûte, très pure, s’éleva dans la forêt, reprise par des voix d’accordant à la mélodie naissante. Féminines et masculines, les voix accompagnaient l’instrument dans une harmonie nostalgique et intemporelle, chantant des mots de tristesse, chantant ce qu’avait été la vie du guerrier qui reposait là. Des êtres fins et gracieux se tenaient autour de la roche, leurs beaux visages tournés vers celui que leurs chants nommaient Sywyn Aelorothi, paladin de Corellon et protecteur de la Maison Royale d’Eternelle Rencontre.

Le chant décrivait l’amitié qui liait beaucoup d’entre eux au combattant gisant là. Il évoquait les moments de joie, les instants partagés et surtout le courage du paladin. Hautes et enlevées, les paroles cessèrent soudain pour faire place à un accord surprenant, bouleversant. Toutes les voix s’unissaient en cet accord qui ne semblait jamais devoir finir puis une voix féminine et claire s’éleva seule au-dessus des autres. Elle chanta les derniers instants de cet elfe, son courage indéfectible pour défendre ses amis, sa volonté de recevoir les coups fatals face à un adversaire invincible et d’offrir sa vie éternelle en sacrifice pour sauver trois compagnons de cette communauté.

La lumière du monde sembla converger vers le corps gisant, dans une ultime aura de gloire. La voix féminine se tut, l’accord poignant se changea en murmure mélodieux et grave et les elfes vinrent l’un après l’autre rendre hommage au héros tombé, silencieusement ou murmurant un adieu, une prière, déposant parfois un objet près de leur ami.

On dit que vingt et cinq Tel Quessirs se trouvaient debout dans la clairière, cette nuit là. Le vingt et sixième était allongé en son centre dans son dernier sommeil.

On dit qu’une procession de premiers nés, portant un corps sur un catafalque de branchages, se dirigea en silence à la lumière des étoiles vers une des jetées de Padhiver, à laquelle un blanc navire était amarré.

On dit qu’un message aurait été transmis par une voix douce et triste au capitaine du navire et que le corps du paladin aurait reçu une cabine pour son dernier voyage vers les terres éternelles.

On dit que les Tel Quessirs seraient restés aux havres de Padhiver à contempler le départ de la nef dans la clarté ténue de l’aube naissante.

Ce que l’on ne dit pas, c’est que le dernier objet déposé aux pieds de Sywyn Aelorothi fut une longue flèche à la pointe effilée comme seuls savent en façonner les elfes, une flèche symbolique de la chasse, de la traque qui allait débuter, en l’honneur du compagnon tombé.

«Namarië, seldë falassoïalìn...»*



*Adieu, enfant des rivages éternels...

Des murmures se faisaient entendre dans les forêts, dans les villes, sur les chemins.
Des paroles elfiques se transmettaient de frères en frères pour annoncer un rassemblement.
Les elfes devaient se réunir, ils devaient discuter, échanger leur avis sur un sujet qui les concernait tous, aucun ne devait manquer à l'appel.
Le lieu de la réunion était déjà connu... pour le jour et l'heure... (C'est ici)

Aniriandel observait ses frères des ombres des fourrés, dans les bois de Luskan.
une communauté elfique.

Mes frères, ne voyez vous pas le chaos ambiant, et le mal persistant ?

Puisse Rillifane vous protégez dans votre quête.