Ténèbres

Je fis à nouveau convoquer Endeuilleur et Arme Sombre. Tout avait déjà été conclue, il ne restait plus qu'à officialiser, et à passer à l'action. S'il n'y avait pas de traîtres parmi mes rangs. Tous deux avaient été surpris par ma demande. A juste titre. Il y a quelques mois encore, une telle option n'existait pas. Mais aujourd'hui, c'est le seul choix qu'il me reste.

J'achèverai ce que j'avais commencé. Il le fallait. S'il n'y avait pas de traîtres. Ils avaient fini par tous deux accepter après que j'ai avancé mes arguments. Il valait mieux. Tout devait se dérouler comme prévu. De l'Ordre.

Et je ne pouvais me permettre de douter deux. Je me redressais pour gagner la statue de la Main Noire. Ma vie est vôtre Seigneur. Et vous allez une fois de plus avoir l'occasion d'en disposer aujourd'hui. Puisse votre volonté s'accomplir, quelle qu'elle soit.

Je les fis tous deux s'agenouiller, puis je m'autoproclamais Imperceptrice. Ils renouvelèrent leur serment, envers moi cette fois. Je les déliais de l'ancien. Puis je nous enveloppais de la bénédiction de notre Seigneur. Sans cela, nous n'avions aucun espoir de réussite.

Nous quittâmes tous trois la tour. J'ordonnais à deux gardes d'interdire l'accès à la salle sacrée du Temple, et renforçais leur garde d'une érynie dont j'avais temporairement acquis la loyauté pour l'occasion. Nous entrâmes, laissant notre escorte derrière nous.

Nous nous avançâmes dans l'allée centrale. Ils vinrent se placer sur les côtés pendant que je restais devant l'autel. Je m'inclinais.

Il ne comprit pas le sens de mes paroles. Il ne choisit aucune des deux options que je lui avais accordé. Il préféra la fuite. Sanctuaire suprême. J'aurais pu l'en empêcher. J'aurais pu également ordonné qu'il soit poursuivi. Mais je n'en fis rien.

Je venais de réaliser quelque chose. Je détachais mon regard de l'endroit où le prêtre s'était tenu il y a quelques instants encore, pour le porter sur la statue d'obsidienne. Lentement, je m'inclinais.

Sans une goutte de sang, finalement. Cela viendra.

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Région du ValBise.

L'Imperceptrice nouvellement proclamée, Sylmen Atrerian, avait causé la fuite du précédent, Reithan Klosk. Beaucoup s'étaient alliés à elle, une vague s'était abattue sur le prêtre officiant dans son temple, une marée qui avait fêlé son trône d'obsidienne.
Un rocher s'érode toujours à résister à l'écume toujours plus grondante annonçant la tempête.
Elle rassemblait ses nouveaux séides, qui avaient retourné leur cape, suivant la nouvelle bannière, celle de l'ambition. Celle de la victoire également. A chacun fut confiée une mission, mais la priorité restait la libération des Cités sûrement perverties par le déchu Klosk.
Alors en silence, ils s'équipèrent, fourbirent leurs armes et lustrèrent leurs armures, puis s'engagèrent dans le blizzard, le soleil au zénith caché par cette tempête violente pour la saison. De cette expédition, beaucoup n'en reviendraient pas : ceux qui avaient pris le mauvais parti, le parti du traître.

Klosk était déjà loin sur les routes lorsque la troupe se mit à sa recherche, seul, avec son honneur bafoué... il se rendit à Belle-Prairie, fief de la Vierge des Souffrances, si souvent le lieu de purges à travers les âges du ValBise. Heureusement, la nouvelle de l'apostat ne leur était pas encore connue. Usant de son influence suprême, il fit venir une patrouille avec lui, aucune explication, tel était l'ordre de l'Impercepteur. Et on lui obéit, bien entendu. Le reste devait se cloitrer à Belle-Prairie, ainsi que bloquer les routes vers le Nord, nul autre ne pouvait contredire cet ordre. Ainsi fut-il.
Et il poursuivit son chemin, messie rejeté par un nouvel ordre, sa traversée du désert glacial aux limites du monde connu.

Dans la nuit, la troupe d'Atrerian armée et prête à en découdre se fit arrêter par le premier poste de garde barricadé. La résistance fut rapidement écrasée, malgré quelques blessures du côté des attaquants, les rares survivants, acceptant de se rendre prêtèrent serment aux pieds de celle qu'ils reconnurent comme la nouvelle Imperceptrice.
Ils étaient tout désignés pour convaincre leurs frères d'armes de Belle-Prairie de se rendre. Ce qui leur fut ordonné, mais un mourut avant d'avoir pu atteindre les portes fermées de la Cité loviate, dévoré par des malamutes et huskys dressés.
L'autre par un discours poignant, où transparaissait toute sa dévotion, réussit à convaincre les guetteurs d'ouvrir, et de reconnaître l'autorité de la nouvelle Imperceptrice. Pour sa compétence, le commandement de Belle-Prairie lui fut accordé, et la purge des résistants ne tarda pas, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des soldats loyaux à la nouvelle bannière.

Le sang, encore une fois, a coulé sur la neige immaculée du Nord. Une voie tracée de Targos jusqu'à Hundelstone, et au-delà.

A Targos, nul n'avait finalement élevé la voix contre ma décision. Seuls certains avaient prit la fuite bien avant tout début de conversation. Des fous.
Les barrages sur la route n'ont guère tenu longtemps, malgré que je n'en ai eu besoin d'aucun sort de haut cercle.
Belle-Prairie s'est rendue sans résister. Les traîtres ont été exécutés, et la ville où avait élu domicile le Hurlemort a désormais un nouveau Commandant.
Hundelstone a voulu aller contre la volonté du Seigneur Noir et persister dans son erreur. Hundelstone en a payé le prix. Du fort, il ne reste une fois de plus que des ruines.
Sur la route du Nord menant à Luskan, des cadavres sont disposés tout du long. Les cadavres des traîtres d'Hundelstone dont l'âme est à jamais condamnée. Pendus, accrochés à des arbres, démembrés et les membres exposés de ci de là, empalés, écartelés, la variété ne manque pas.
Deux corps, plus en évidence, presque entiers bien que gelés, reposent sur une pierre. Sur leur torse ont été gravés respectivement les lettres suivantes : OPPOSANT et TRAITRE.

Le sang a coulé.

Dans la nuit, le dernier bastion était tombé.

Nous avions pris la route de la guerre. De la mort. De Baine. La seule route possible. Le seul avenir.
L'assaut avait eu lieu, brutal, sanglant, rapide. Plein de rebondissements. Dont un que personne n'avait sans doutes prévu ... Baine. La Main Noire. Elle s'était abattue sur le fort, faisant cesser en l'espace de quelques secondes tout combat, tout mouvement.
Le Seigneur des Ténèbres réclamait un duel entre ses deux servants. Ainsi Baine en a-t-il voulu, aussi ainsi a-t-il été.

Les sorts de part et d'autre ont fusé et se sont enchaînés. La douleur des deux côtés était présente, mais il n'était pas question de céder. Le combat ne pouvait s'achever que par la mort. C'est donc ce qu'il finit par arriver. Le corps sans vie retomba lourdement contre les dalles du donjon.

L'ordalie avait décidé. Le Jugement de Baine avait été rendu. Ceux qui le remettraient en question s'opposeraient directement à sa volonté. Il y en eu pour le faire. Ils décédèrent aussi.

Au sein du Clergé, il n'y avait plus nul opposant. L'Ordre était revenu. Au prix de nombreuses vies, dont surtout la sienne. Celle de mon prédécesseur, celle de mon père. Car c'est à présent moi qui dirige officiellement, selon la volonté du Seigneur des Ténèbres.

Crypteserre. A peine réinvestie et déjà peuplée par de nouveaux invités.

La liste des prisonniers de Crypteserre commence à s'écrire. La liste des prisonniers bainites elle s'allonge, lentement mais irrémédiablement.

Après les suicidaires de Targos, les réfugiés de Crypteserre. Curieuse idée, que de se réfugier dans ce lieu. Surtout avec des croyances... aussi douteuses.

Peut-être que la liste des morts fera de même que celle des prisonniers avec ces nouveaux arrivants ... Ou pas.

Au début, tout n'était que noirceur, ténèbres.
Puis vint la lumière, le rouge des flammes et du sang, de la passion. Mais lorsque le temps a passé, le rouge s'estompe car chaque jour a irrémédiablement une fin, lorsque le soleil choit.
Vient alors le temps du vert, de l'espoir auraient dit certains. Mais c'est mieux que cela. C'est l'Espérance. L'espoir est une affaire de raison, car il porte sur des choses concrètes et matérielles. L'Espérance elle se vit sous le regard de la Foi.

Le cycle est arrivé à son terme, et le passé refait surface alors qu'une ancienne lueur se remet à briller, reflet des traditions ayant jadis sombrées dans l'oubli. Une lueur sombre, avide, d'un émeraude profond, car si les Ténébres sont tombés, elles s'élèvent toujours à nouveau. En cette vérité réside l'une des clefs de l'Espérance.

Depuis quelques jours, Targos a reçu nombre de visites. Des visites pour le moins ... curieuses. Des ennemis de la Foi ont pénétré dans l'enceinte de la ville. Sans chaînes, vivants et indemnes. Pire, ils ont amené avec eux leurs symboles impies, sur leurs armures, leurs pendentifs, leurs boucliers.

Mais les ordres étaient clairs. Ils ne devaient pas mourir ... Pas maintenant. L'envie n'a pas néanmoins manqué à certains d'attaquer, d'au moins faire couler leur sang.

Mais vraisemblablement, rien n'a eu lieu. Chacune des personnes étrangères est repartie, quelques temps après, parfois longtemps après, sans encombres.

De quoi alimenter les discussions dans ces contrées froides pour un bon moment ...

Il y avait longtemps que le Temple n'avait pas été honoré comme il se devait. Trop longtemps. J'aimais trop ce lieu pour le laisser dépérir. Même si j'allais devoir lui dire adieu, ou au moins au revoir, je voulais pouvoir m'en séparer sans un regret et sans honte. Il serait plus beau que jamais.

Tout s'est déroulé parfaitement, à la moindre seconde près, à la moindre respiration. Les cris ont résonné lorsque je l'avais décidé, et se sont éteint lorsque je l'avais prévu. La vie humaine s'est écoulée, pour offrir une nouvelle divine au Temple. Sa puissance nous a enveloppé, une bénédiction pour certains ... une malédiction pour d'autres.

Je levais le regard vers la statue de notre Dieu, de mon Dieu, du Seigneur des Ténèbres. Je suis fatiguée. Mais j'ai hâte. Hâte de refaire ça. Un sourire s'esquisse sur mes lèvres rien qu'à y penser. J'aimerai aussi voir la tête qu'ils feront, lorsqu'ils recevront mes lettres ...

Dans la nuit, trois chats feulent de contentement.