La nuit était déjà bien avancée, mais dans cette région enneigée, toute source de lumière est susceptible de se réfléchir sur cette morne blancheur. J'y voyais donc comme de jour....
Acharn et Neithan se balançaient doucement à mes côtés...
Comme d'habitude, je me rendais au massif des dolmens, ainsi que mère l'avait nommé, pour contempler la triste vallée qui était la seule chose que j'avais connu de ma vie. Avec mère, nous aimions nous rendre ici et scruter l'horizon, espérant follement une éclaircie dans cet épais brouillard pour voir une issue à notre prison...
Aujourd'hui j'y emmenai Acharn et Naithan, pour commémorer un événement, me replonger, une fois de plus, dans les affres du passé...
Ce soir là j'ai appris que ces deux beautés, aux courbes élégantes, étant les assassines de ma mère, étaient aussi mes raisons de vivre, et plus encore : elles m'étaient vitales.
Ce soir là, je me rappelai le jour où je me retrouvais seul à cause de ce pillard, et naturellement ma haine se déchargea sur Acharn et Neithan...
Dans un brusque accès de colère, je les jetais contre un arbre et leur hurlais de ne plus jamais me parler, que même si je les perdais je pouvais continuer à vivre sans elles !
Ce qu'elles ne savaient pas, c'est que je continuerai à vivre,certes, mais comme un homme qui a perdu la vue ou les bras...
Je me rendis finalement sur le contrefort des dolmens, seul, tandis que ma main errait près de mes fourreaux vides, cherchant inconsciemment le doux contact de ces pommettes nacrées...
De désagréables picotements se faisaient sentir dans ma paume à l'absence de ce contact rassurant. J'imaginai ce que pouvait ressentir un homme amputé de sa main et croyant parfois encore à son existence...
Je montai un feu sous les dolmens effondrés qui me préservaient plus ou moins du vent...
Je regardai sans cesse en face de moi, m'attendant à tout instant à voir ces deux beautés plantées dans la neige, droites et nobles, si belles...
Un bruit de pas... J'éteins le feu avec une poignée de neige et porte ma main aux fourreaux. Vides. Un énorme tigre des neiges passe devant moi, je me tapi derrière une pierre levée, la peur me prend, je me sens impuissant sans Acharn et Neithan...
Les femmes, toutes les mêmes, elles nous abandonnent lorsque l'on a besoin d'elles...
Le tigre s'éloigne et va se coucher à l'abri du blizzard sous une autre pierre, le vent jouait donc en ma faveur, et la neige a dut brouiller ma piste... Les ombres soit louées...
Il ne faisait pas bon vivre ici, je décidais de quitter mon abri, je fit quelques pas dehors, plissais les yeux pour y voir quelque chose dans ce blizzard si familier...
Une tête noire, épaisse et large me fixait de ses yeux jaunes, se détachant au dessus d'une pierre tombée. Deux crocs reluisaient dans la nuit...
Courir...
Je cours, je cours de toutes mes forces, je ne peux rien tenter sans Neithan, ni me protéger sans Acharn, je suis nu, amputé...
Je cours, un rebord humide, je glisse et tombe...
Je dévale une pente pour atterrir mollement dans une couche épaisse de neige...
Je reste là, maudissant ma bêtise, me rendant compte de ma faiblesse dépourvu de mes seules amies...
Par orgueil et vanité je m'en suis débarrassé comme si elles n'avaient jamais eu aucune importance pour moi...
Je dois aller les rechercher, les retrouver pour retrouver mes sens, mon moi, ma force...
Retrouver Acharn et Neithal pour
me retrouver...
J'attends que le Tigre, situé environ soixante pieds plus haut, s'éloigne...
J'arrive Neithal...
J'arrive Acharn...
Une fois de plus et pour toujours nous serons réunis et avec notre force et notre complémentarité, nous hurlerons notre suprématie sur cette vallée...