Entre Leilon et Padhiver

Les grismantels et autres de Padhiver venant à Leilon pour assurer la sécurité arrivent désormais avec un petit convois de vivres. Ils ne permettent pas de tenir durant les deux semaines de leur tour, mais ils arrivent tout de même à soulager le village de Leilon d'une semaine de nourriture, pompée d'habitude dans leurs ressources personnelles. C'est un début.
Ces groupes qui font le déplacement entre Padhiver et Leilon sont renforcés par des Heaumites fièrement équipés, afin de dissuader les brigands d'attaquer, ou d'exterminer les créatures monstrueuses qui n'ont pas eu assez d'intelligence pour ne pas foncer dans le tas.

Quelques groupes annexes de Heaumites circulent toujours sur cette route. Hormis la surveillance, ils ne semblent pas devoir s'attacher à un autre but précis. Von Kassian semble souvent leur rendre visite afin de s'informer, et de bénir les fils de l'Oeil-sans-sommeil. Ils n'hésitent pas à utiliser les feux d'alertes. Les caravanes d'Eauprofonde, contre rémunération dans les normes, se voient accompagnées sur un bout de chemin par quelques serviteurs du Vigilant, abaissant le risque d'attaques sur cette route périlleuse.

Alors que le bandit attrapé, seul survivant, était agenouillé, le Prêtre prit la parole :

- Toi qui menace la vie de ce qu'Il protège, te voilà condamné. Malgré la présence des membres du Vigilant, tu ne t'es pas repenti en t'exilant de ces Terres protégées. Alors moi, Von Kassian, je me dois de supprimer la menace.
Le prêtre donna un ordre à un de ses hommes. Ce dernier pris le bras du forban pour le maintenir au sol. Deux autres hommes immobilisaient le coupable.
- Cette main pour tous les vols et meurtres que tu as commis.
La bâtarde Sainte s'abaissa sur le poignet, tranchant net la main du condamné, alors que celui ci hurlait de douleur.
- Cette autre main pour tout ceux que tu aurais accomplis si les Serviteurs de l'Oeil-Sans-Sommeil n'avaient pas été là.
La bâtarde sanglante s'abattit sur le deuxième poignet, bercé par le crie de douleur inhumain qui fuyait avec force les lèvres du bandit.
- Et cette tête... tombe pour le Bien du Peuple !
La tête tomba. Le corps s'effondra dans quelques spasmes. Von Kassian, droit, lança un regard impassible et froid à ses hommes. D'une voix forte et pleine d'assurance, gardant l'épée guidée par la Foi divine en main, il reprit la parole :
- Qu'il soit crucifié par les coudes ! Que ceux qui prennent cette route avec de mauvaises intentions sachent qu'il n'y aura pas de pitié ! Moi, messager du Vigilant, ferais en sorte que la Cité des Artisants devienne un Havre qui ne subira plus aucune menace, quelle qu'elle soit ! Car tel est mon Devoir ! Car tel est le devoir de chacun d'entre nous !

Le corps gît sur une croix de bois, crucifié par les coudes, sur la route entre Leilon et Padhiver. Ses mains et sa tête posés au sol. Au dessus du coupable, le symbole du Vigilant observe de sa pupille insondable les voyageurs qui passent et qui posent leur regard sur le corps du condamné. La présence de l'Oeil-sans-sommeil qui domine sa proie les prévenant des risques s'ils osaient menacer par leurs actions la vie paisible du Sud. On le brûlera après deux semaine d'exposition, pour éviter les maladies. Mais la croix en bois plantée avec l'Oeil trônant au dessus restera présente, en murmurant à chaque passant que la place reste libre pour lui, si ses actions se voient être jugées comme néfastes.

On en plantera autant qu'il faudra, avait murmuré le Gardien alors qu'il observait ses hommes préparer le corps.

Lorsque Jean de Neufcastel apprit la nouvelle de cette exécution qu'il qualifia de cruelle, il fut gagné par une colère contenue. Il réunit une troupe de Grismantels pour l'accompagner afin retirer ces sinistres trophés, aller discuter avec von Kassian et rappeler que la loi devait être appliquée. Si le prévenu a été reconnu coupable de meurtre il aurait du être pendu et non pas ainsi mutilé

Lorsqu'au bout de quelques jours, d'une durée nécessaire au colportage de nouvelles venant du Sud, et que celle ci précisément arrive à Luskan, nul ne saurait dire combien de temps le Mage Zanaghar fut pris d'un fou rire sincère et méprisant comme peu ou pas l'avait vu en avoir un en ces terres.
Le châtiment appliqué au voleur démontre avec quelle exactitude le sens moral des padhivériens est sujet a perte de repères, dira-t-il. "justice", "ethique", "assassinat sans objectifs", "fanatisme", "manque de perspective", "de belle parole pour se foutre de la gueule du monde" ne seront que quelqu'unes des expressions employées lorsqu'il entendra parler de cette triste et risible histoire pathétique .
Mais, surtout, devant tant de barbarie, dont l'emploi est très modéré même en Thay, le mage projette, pourquoi pas, - un sourire au coin des lèvres- de proposer ses services aux "justes" autorités de la cités des artisans. Services qui seraient sans doute beaucoup moins violents et rendraient de meilleurs résultats.
"Sans doute ne devrais-je pas envoyer une lettre d'invitation au bal des moissons annuel de Leilon à la cape Lysandre mais choisir une bourgade moins dangereuse !" entendront les badauds du port de Luskan, alors que le mage retourne en sa boutique.

- Gérardin, je veux pas dire, mais moi je l'aurais pendu par les couilles l'autre bandit là. Tu sais quoi ? Il aurait même pillé la ferme des Conrad l'autre jour, avec sa bande. Et j'ai même entendu que c'était un Luskanien ce gars, saleté.
C'est eux qui nous ont vendus aux Bainites quand ils ont bouché la route au-dessus de Port-Llast, tu t'souviens ?

- Mouais, ben tu sais, moi j'ai un fils qu'est parti à l'aventure. Je sais qu'il a bon fond, mais avec le manque de nourriture, je crains qu'il ait viré brigand. Et franchement, j'aimerais pas qu'il soit tortionné comme ce gars là. Y'a bien que les Amniens pour infliger des châtiments aussi terribles à leurs concitoyens.
Parce que je te le dis moi ! Un jour, on va se retrouver à rapiner aussi ! Tous ! L'argent disparait dans les gamelles des riches, à Padhiver, ou dans les mains des magouilleurs de Luskan ou Mirabar. Et là... ils nous enverront des bourreaux, et on s'ra cuits, Yves, cuits comme des haricots bouillis aux oignons, et sans anchois... et même pas d'lardon... avec d'la graisse de...

- Non mais arrête, c'est bon, on a compris. Condoléances pour ton fils, mais l'ordre ça doit passer par là. Moi j'préfère que les brigands voient cet exemple, et qu'ils viennent plus sur mes terres ou sur les caravanes qui nous apportent les denrées. Au moins, là, ils comprennent, et ils s'attaquent plus aux honnêtes gars comme nous.

- Sauf que tu vas voir, un jour prochain va arriver où les militaires vont s'en prendre à nous, et ils vont violer nos femmes. Nous on pourra rien faire, parce que sinon ils vont nous crucifier comme ce bougre. Et ce jour... sera la fin du bonheur, mon ami, la fin du bonheur. Un régime cruel se met en place, l'horizon s'assombrit sur les méandres de nos coeurs au crépuscule de leur liberté...
C'est une parole d'un vieux gars de Chauteau-suif, je me souviens plus de la suite.

- Bois un coup ça te reviendra. Je comprends pas ce que ça veut dire, mais ça sonne bien.