Une gamine encapuchonnée de vert, l'air perdue sur le parvis de la place centrale, donnant l'impression de chercher son ours en peluche !! Dire que c'étais "ça" que cette ville de bouseux avait soit-disant désigné comme l'un de ses hauts capitaines !! Sous l'effet de la rage, Niels crispa ses doigts autours du cou du rat puant qui lui servirait ce matin de petit déjeuner. Le pauvre ne se débattit pas bien longtemps avant de s'immobiliser, les yeux injectés de sang, la langue pendante, bleue et gonflée.
Comme quelques poux enthousiastes sautaient depuis sa barbe hirsute qu'il grattait machinalement, il se demandait si ses amis ... enfin, ses connaissances ... se demandaient encore ou il pouvait être. Puis il s'affaissa en soupirant contre le mur de pierre recouvert de moisissure et de champignons. C'était évident que non : jamais lui, à leur place, n'eut levé le petit doigt pour aider l'un de ses "associés" si nul butin n'était en jeu ...
Et pourtant, il avait bien crû depuis le coup de la bijouterie que cette Luskan était prometteuse. Il en avait presque oublié le départ des si douces suivantes de la vierge des douleurs de la chapelle de Lorgol : l'intolérable sensation de manque qu'avait provoqué la privation de leurs si douces faveurs et le désespoir de sentir son âme ainsi cruellement abandonnée l'avait poussé à s'exiler ... ailleurs ... Luskan, se disait-il alors, ferait l'affaire aussi bien qu'une autre destination.
Mais il avait fallu qu'il tombe sur cette maudite gamine qui commandait comme par magie à la milice. Sans doute l'une de ces fifilles à son papa assermenté et sur-gradé, capricieuse et fière comme une bourgeoise qu'une vie trop facile pousse à se montrer ... Niels jeta le rat par terre avec dépit. Depuis combien de temps était-il ici, dans cette geole putride, à ronger les chairs et les os de ses seuls compagnons de cellule ?
A nouveau, il sentit l'angoisse et le désespoir revenir le hanter. Ils étaient revenus, après un court répit, provoquer et faire de nouveau chavirer sa raison. Et bien sûr, Niels savait : l'angoisse était la plus forte. Même si il pouvait un temps lutter pour se détourner d'elle, ses alliés la solitude et l'obscurité le prendraient par derrière, et réduiraient bientôt à néant d'aussi vains efforts. Peu à peu, il le savait, ses instants de lucidité se faisaient de plus en plus rares, faisant au pire place à l'hystérie et à ses échos de cris déchirants, ou au mieux à la torpeur et à ses sueurs glacées qui vous font presque envier le calme d'une tombe bien profonde ...