Récit d'une Chasseuse Solitaire

La lourde porte de la crypte grince quand Ezeriel la franchit enfin. La lumière du jour l’éblouit un instant et elle cligne des yeux pour se raccommoder à la luminosité naturelle. Sept jours, sept longues journées passées dans cette crypte du cimetière de Padhivers. Elle a l’air d’un zombi ; elle en sourit intérieurement. Cheveux en bataille, couverte de poussière, quelques accrocs sur son pourpoint de cuir clouté attestent d’un séjour mouvementé. L’Abomination siège solidement en ces corridors et c’est de toute la force de sa foi et de ses lames que la jeune paladine du Juge des Damnés a combattu pour essayer de purifier ce lieu. Ces sept jours sans repère solaire l’ont quelque peu désorientée. Elle est fatiguée et rêve d’un bon bain chaud. Elle s’octroie une petite pause juste à la sortie. L’examen du contenu de sa besace lui arrache une légère grimace. Des vivres emportées pour cette expédition, il ne subsiste que trois abricots secs. Avec un haussement d’épaule, elle se dit que son retour à la citée n’est pas pour longtemps et engloutit ces dernières provisions.
Un mouvement dans les taillis lui fait relever les yeux. Les sens en alerte, elle sort lentement de leurs fourreaux ses deux longues lames, prête à brandir celle consacrée par Kelemvor si cette menace potentielle s’avère d’outre-tombe. Affaiblit par ce séjour dans les tréfonds de la crypte, elle espère qu’aucune menace réelle ne se tapit dans ce buisson, car, elle sait au fond d’elle-même qu’un combat ne tournerait pas forcément à son avantage.
A l’instant où la végétation révèle la créature, la froide et solitaire Ezeriel ne peut retenir un éclat de rire, toute la tension nerveuse retombant brutalement. Tranquillement, fouinant à la recherche de nourriture surement, un blaireau apparaît. Il lève le museau vers cette étrange créature grisâtre et émettant de curieux sons, puis, reprenant sa quête, il s’en retourne vers d’autres occupations. « Je suis trop nerveuse » se dit alors la paladine. Tout son être réclame le repos. Rangeant ses lames, elle reprend la route vers un bon bain, un vrai repas, vers Padhivers.
Les gardes de la porte Ouest ont bien un regard suspicieux vis-à-vis de cette jeune femme passablement couverte de poussière et sanglée dans une tenue de cuir noir, mais le symbole de Kelemvor a tôt fait d’apaiser leurs soupçons.
Une fois la porte de l’auberge poussée, Ezeriel entend des conversations traitant du fait que les fleurs ne poussent plus, qu’une guerre serait imminente dans le Nord, mais son état de fatigue est tel qu’elle n’arrive plus à se concentrer sur ces propos. Seule une bride de conversation retient son attention. On y parle de morts en marche du côté de Luskan. La jeune femme affiche une grimace. « Luskan… Luskan… lieu de rendez-vous de toutes les aberrations et malédictions… berceau de la magie aveugle… quand cela cessera-t-il?... ». Se promettant de préparer un voyage pour la citée des Voiles, Ezeriel prend le chemin d’une chambre, y jette tout son attirail et se plonge avec délectation dans un bon bain chaud.

Fin prête pour le voyage, Ezeriel vérifie si elle n’a rien oublié en bouclant son ceinturon où pend la lame consacrée du Seigneur des Morts. Lentement, sans précipitation, elle referme la porte de la chambre de l’auberge de Padhivers puis descend l’escalier. Sur son visage se peint la détermination. Celles et ceux qui la voit traverser la grande salle puis la grande place de la citée ne peuvent que deviner que la jeune paladine part pour une région dangereuse. Calmement elle se dirige vers le port, vers le « Black Southern Rose ». Le prix pour la traversée entendu, elle embarque pour la citée des Voiles, Luskan.
La traversée est agitée. La mer semble comme en colère. Peut être Umberlee a-t-elle était courroucée ce dit-elle en s’agrippant au bastingage.
Les murs de Luskan apparaissent enfin à son grand soulagement. Se préparant à débarquer, elle se demande ce qu’elle va bien rencontrer en ce lieu. Une jeune paladine de son Ordre y a disparu, nombres de créatures étranges vivraient dans la région. Prudence sera mère de sûreté se dit-elle.

Voilà Luskan, la Citée des Voiles, la Citée des Mages aussi. Il pleut, comme souvent en cette région quand j’accoste enfin après cette traversée à oublier. Sans m’appesantir sur la citée elle-même, je consulte ma carte et prends la direction du cimetière. En chemin, j’y croise un homme, le bras en écharpe, collé à son corps, visiblement fracturé. Il porte sur son armure le symbole de notre Seigneur, mais j’en déduis à son état qu’il ne doit être ni prêtre ni paladin. Un humble serviteur du Grand Cycle certainement. Avec un peu de mal, je parviens à ce qu’il accepte que je le soulage de sa douleur. Il semble ailleurs, visiblement en proie à une grande préoccupation. La lumière du jour commence à décliner et je l’invite à partager la prière, là, à l’endroit où nous sommes. Après cela, il me rapporte le sujet de sa grande préoccupation, cette malédiction semblant peser sur Luskan, le lourd fardeau qu’il doit porter, trop lourd pour un seul homme à mon avis. Malheureusement, ses affaires l’appellent et doit me laisser. Je lui fais dernière recommandation en lui demandant de prendre tout de même quelques repos.
Je reprends donc ma route vers le cimetière. J’y suis immédiatement accueillie par des créatures de l’Abomination, des zombis dont certains de nature venimeuse. Parvenant à en repousser quelques uns, ma lame consacrée par notre Seigneur taille et tranche dans les chairs putréfiées, purifiant et libérant ces pauvres âmes. Le combat est rapide, et je remets à peine mes lames aux fourreaux quand une ombre passe à mes côtés à grande vitesse et s’immobilise. Intriguée, je vois alors face à moi un homme d’un certain âge d’après sa silhouette et sa voix, enroulé dans une robe et une lourde cape dont le capuchon est totalement rabattu. Nous devisons un instant. L’homme semble chercher quelqu’un. Dans un cimetière, cela me surprend, mais peut être avait-il rendez-vous. Je ne l’interroge pas plus sur ce sujet, jugeant que cette honorable personne ne puisse être un pilleur de tombes. Notre conversation touche à sa fin quand un barde arrive lui aussi. Décidemment, que de monde au milieu de ces sépultures… et surtout encore ces zombis revenant en nombre et en force. Epaule contre épaule, le barde et moi repoussons leurs assauts. Ceux-là doivent être d’une catégorie plus puissante que les précédents car je ne parviens que rarement à les repousser. Alors, nos lames s’actives. Plusieurs fois blessée, je parviens tout de même à garder pieds et d’un commun accord, l’artiste et moi-même changeons de tactique, criblant ces infâmes créatures de ses flèches et de mes carreaux chargés de l’énergie de l’orage. Le cimetière redevient enfin paisible après ces combats. Le temps est aux soins car les créatures ne nous ont pas épargné ; moi surtout. Je décline poliment une invitation à un bal de la part du barde. Il est certes charmant, mais ces lieus ne sont pas pour moi. Arrive alors un petit homme qui, sans passer à malice apparemment, nous demande si cela ne nous ferait rien s’il allait délester quelques caveaux des trésors pouvant y être. Faisant effort pour garder mon calme, je lui réponds que si, cela me dérange fortement. S’en suit alors une négociation pécuniaire afin de « persuader » ce petit homme du nom de Kurd de ne pas poursuivre son entreprise de piller les sépultures. Pour le prix de huit mille pièces, il accepte tout de même ; je dois remercier le barde d’avoir avancé plus de la moitié de la somme. Je vois alors, avec grand étonnement je dois l’avouer, ce petit homme, non seulement renoncer à ses fins, mais en plus protéger la porte de la crypte par un moyen d’alerte. Je m’attendais plus à ce qu’il fonce dépouiller les tombes dès que j’aurais le dos tourné à vrai dire. Et bien non, il va même jusqu’à garder la porte du cimetière. Etonnant ce Kurd. Enfin, je ne préfère pas me demander ce qu’il fit après mon départ. Peut être rien, je préfère croire en sa parole.

A son retour en Padhivers, elle se précipite pour écrire une missive à destination du Grand Patriarche de l’Ordre des Chevaliers du Seigneurs des Morts.

Excellence,

Je me permets de vous contacter afin de vous informer d’une situation de haute gravité ici, en la région de Luskan. L’Abomination étend son ombre chaque jour. Une prophétie parle d’une malédiction sur la Citée des Voiles et prédit sa disparition dans les flots. Les sépultures sont maudites et aucun des cimetières que j’ai parcouru ne semble épargné. Je vous informe aussi que nul prêtre de notre Seigneur ne semble présent et que par conséquent les défunts sont mis en terre sans la bénédiction et la protection de notre Seigneur Kelemvor, laissant libre entreprise aux vils nécromanciens. C’est avec insistance que je vous demande de dépêcher promptement un prêtre en la région.

Ezeriel

*suit le sceau de Kelemvor*

Dans sa chambre de l’Auberge de la Rivière près de Padhivers, Ezeriel relis la missive reçue de son Ordre. Elle a désormais pour mission de combattre le culte de l’Abomination que l’on nomme l’Elogieux, par tous les moyens à sa disposition.
La missive qu’elle vient d’expédier au Haut Chancelier Selfaril de Lorgol n’en est qu’une première phase.