Prévention à la maison close de Luskan

Une frèle silhouette en robe de bure blanche brodée de fils rouges et d'un symbole représentant deux mains liées par un lacet rouge sang marchait d'un pas rapide dans les rues de la cité des voiles. Elle s'arrêta une seconde devant le palais de Justice, le temps d'observer le cadran solaire. Seize heures... Ces dames ne seraient surement pas encore au travail, c'était donc le meilleur moment pour les rencontrer. Anaïs poussa la porte de chène qui semblait gardée par une dame en robe longue et dont le bustier semblait trop étroit pour maintenir une opulente poitrine.

La porte pivota sur ses gonds avec un léger grincement et laissa ressortir une forte odeur de parfums divers, au bouquet puissant et aux arômes de rose. Anaïs cligna des yeux quelques instants pour s'habituer aux tentures rouges criardes ornées d'estampes suggestives sur les murs. Le plancher était couvert d'un tapis de la même couleur, et portait des motifs dorés, que la jeune femme ne put regarder sans rougir.

Une femme d'une quarantaine d'années approcha. Elle avait les cheveux blonds délavés qui encadraient son visage adipeux. Ses yeux bleus vides lui donnaient le charme répugnant d'une femme ayant déjà trop vécu cette vie. Elle parla d'une voix lasse, où ne respirait plus qu'un désespoir sourd, masqué vainement derrière une joie de façade.

"Alors ma chérie, on vient chercher de l'exotisme?"

L'illmateri rougit brutalement, assez peu habituée à ce genre de propositions dénuées de poésie.

"N... Non, en vérité je viens rencontrer la maitresse des lieux...
_Qui dois je annoncer chérie?
_Anaïs Melonïn, prêtresse du dieu déchiré..."

Le regard morne de la fille de joie devint plus suspicieux.

"Illmater hein? J'vous préviens tout d'suite, si c'est la garde qui veut nous faire fermer, on a pas de problèmes d'maladies ici..."

Un léger sourire apparut sur le visage de la jeune Thétyrienne.

"Oh je ne viens pas pour cela, ne vous inquiétez pas... A vrai dire je viens ici de ma propre initiative, afin de prévenir d'éventuelles maladies vénériennes."

La péripatéticienne l'observa des pieds à la tête puis se dirigea vers une porte dérobée derrière une tenture représentant un homme et une femme mimant grossièrement une brouette.

Plusieurs minutes passèrent durant lesquelles la prêtresse se controla afin de ne pas se focaliser sur ces dessins. Enfin la porte se rouvrit, laissant place à une femme de taille moyenne, gainée de noir. Elle semblait avoir la cinquantaine d'années, mais gardait l'élégance féline d'une femme sportive (et Anaïs préféra ne pas imaginer quel sport) dont les cheveux de jais parsemés de blanc contribuaient à renforcer sa grace. Ses yeux de jade se posèrent dans ceux de la prêtresse et un sourire naquit sur ses lèvres peintes telles celles une poupée de porcelaine.

"Nadya me dit que vous êtes Illmateri ma belle. Qu'est ce que Dame Claudia peut faire pour vous?
_En fait... Je suis venue pour prévenir les maladies qui pourraient toucher vos filles dans cet établissement...
_Mes filles sont on ne peut plus saines et prennent un bain tout les jours!"

Anaïs rougit de sa maladresse et bafouilla:

"Ce n'est pas ce que je voulais dire... Mais avec les nombreux clients... Certaines maladies peuvent apparaitre... Syphillis, Vérole... Je ne veux que savoir si certaines de vos filles peuvent etre touchées. Je serais discrète sur leur identité, et je les soignerais autant que possible..."

Dame Claudia observa à nouveau Anaïs pendant de longues secondes, son regard teinté d'une flamme d'interêt passa du symbole d'Illmater aux yeux de l'initiée.

"Bien, vous pouvez voir mes filles, mais je tiens à ce que vous taisiez leur identité. Vous comprennez que ce serait pas bon pour la réputation de la maison, ni pour la leur. Je les protège comme si c'étaient les miennes vous savez... Elles n'ont souvent plus rien à part moi..."

L'illmateri hocha doucement la tête, compréhensive, et se dirigea vers la porte que Dame Claudia lui avait indiqué d'un nonchalant geste de la main. Après quelques pas elle sentit le choc surprenant d'une main sur ses fesses.

"Dommage que tu sois religieuse mon chaton, je suis sure que les clients t'auraient adorés..."

La pièce dans laquelle entra Anaïs était bien moins décorée que l'entrée, certainement des parties privatives. Le plancher était nu, comme la plupart des dames qui étaient présentes d'ailleurs. La pierre blanche des murs avait jaunie au fil des années et même brunit à certains endroits. Il semblait évident que le nettoyage de l'endroit n'était pas une priorité... Une dizaine de regards mornes et sans joie se tournèrent en même temps vers Anaïs et la dévisagèrent. Dame Claudia adressa un sourire à ses protégées et dit d'une voix calme:

"Mes filles, voici Anaïs Melonïn. Elle est prêtresse d'Illmater et venue lutter contre la maladie qui a déjà emporté certaines d'entre nous. Vous pouvez lui parler sans crainte, elle sera d'une discrétion absolue sur vos identités et est là uniquement dans un but louable... Je vous demande de lui faire bon accueil ..."

Les prostituées dévisagèrent encore Anaïs pendant plusieurs secondes, tachant de calmer la curiosité (et l'avidité pour certaines) dans leurs yeux. Claudia indiqua fort aimablement à l'Illmateri que c'était l'endroit où les filles se changeaient et se reposaient durant la journée. Le lieu semblait en effet bien à l'écart de l'agitation que devait connaitre la maison close lors de certaines soirées. La maquerelle indiqua une seconde porte qui menait de la pièce principale au quartier des hommes. Anaïs la remercia et de sa démarche féline, Claudia s'éloigna vers d'autres affaires.

L'initiée revint dans les quartiers des filles et les salua tour à tour, prenant le temps de noter sur un petit carnet leur nom, âge et depuis quand elles exercaient le plus vieux métier du monde.

Anaïs resta avec elles quelques heures, afin de faire plus amplement connaissances avec les dames et gagner leur confiance. Elle entendit leur histoire une à une et fut emplie de tristesse en constatant que la vie avait été bien dure envers ces femmes qui se résumaient maintenant aux yeux des autres à de simples morceaux de viande.

L'une avait été fille de bohémienne, arrivée en ville sans un sous et n'ayant eu d'autre choix que de vendre son corps afin de survivre. L'autre avait été autrefois aisée, dans un pays lointain, mais la guerre avait fait d'elle une esclave et de propriétaires en propriétaires, elle était arrivée là... Toutes avaient une histoire à raconter, un passé, et la prêtresse prit le temps d'écouter chacune d'elles tour à tour.

La nuit commençait à étendre ses ailes ténébreuses et les premiers clients arrivèrent. Anaïs prit donc congé des dames de petite vertue en leur promettant de revenir le plus vite possible afin de continuer à mieux faire connaissance et à les épauler dans leur bien rude vie...

Cela faisait déjà plusieurs jours qu'Anaïs avait commencé son oeuvre auprès des prostituées, et un nom était revenu assez couramment sur les lèvres de ces dames: Chris. L'illmateri avait cherché une fille qui s'appelait "Chris" mais aucune d'entre elles ne répondait a ce nom. Elle décida donc de s'informer auprès de Madame Claudia. Timidement donc elle heurta trois fois la porte qui fermait les quartiers de madame Claudia du dos de l'index. Quelques secondes s'écoulèrent, et le cliquetis d'une clé dans une serrure retentit enfin. Le battant pivota sur Madame Claudia et son regard de félin à la fois plein de mélancolie et de joie. Un maigre sourire apparut sur ses lèvres peintes et sans un mot elle s'écarta légèrement, invitant l'illmateri a entrer dans la pièce d'un geste de la main.

Avec une pointe de méfiance, Anaïs entra, tâchant de garder son postérieur hors de portée de la main de Claudia, au cas où elle désirerait à nouveau lui flatter la croupe et l'ego. Deux fauteuils profonds étaient orientés vers une cheminée crépitante, pour faire oublier le froid du dehors. Le Val Bise n'avait rien d'une région hospitalière, de part son climat notamment. Anaïs s'installa dans un fauteuil sur un geste de Claudia avec un large sourire. La maquerelle prit place dans le second fauteuil et se servit un petit verre d'alcool fort.

"Je ne vous en propose pas" ajouta t'elle à l'intention de l'illmateri, qui la remercia de cette attention d'un bref sourire.

"Pourquoi désires tu voir Madame Claudia mon chaton? Un soucis avec l'une des filles?
_Oh non, pas du tout, elles sont adorables, vraiment... Mais elles m'ont parlé plusieurs fois d'une certaine "Chris" et j'aurais aimé en savoir plus sur elle..."

Madame claudia porta son verre de liqueur à ses lèvres, laissant une trace écarlate sur le bord du récipient après avoir bu une petite gorgée.

"Oh Chris... Adorable fille! Elle est prêtresse, comme vous...
_Une illmat...
_sharessite."

Ainsi, songea l'initiée du Dieu Déchiré, elle n'était pas seule à s'occuper de ces dames de joie. Par contre, elle ne l'avait pas encore croisée, probablement a cause d'horaires de visite incompatibles... Peu importait, il fallait qu'elle la rencontre, afin de coordoner ses efforts avec elle...