Jennifer s'éveilla doucement, sortie de sommeil par son horloge interne, disciplinée par les longues années d'éducation rigide et intransigeante subies durant son enfance.
Bien qu'elle ne puisse voir l'extérieur d'ici, elle savait qu'il devait faire encore nuit, probablement juste avant que le ciel ne commence à perdre sa teinte d'encre noire pour pâlir et annoncer la venue imminente de l'aube.
Elle tendit l'oreille et entendit avec satisfaction le garde et les autres "résidants" ronfler...
"Ici, dormir est encore l'activité la moins pénible, il est normal qu'il en profitent.
Quelque part, je devrais remercier les dieux pour cela et l'opportunité que cela me fournit."
Ouvrant les yeux doucement, elle inspecta sa position, sans esquisser un geste.
La cape était toujours en place.
Une excellente chose.
"Encore une chance que j'ai le sommeil peu agité... Cela me permet de dormir sans mes vêtements sous ma cape.
Si je bougeais plus que cela et si elle avait une chance de glisser durant la nuit, je serais contrainte de les porter en permanence."
Elle n'osa pas imaginer une fois de plus la honte qu'elle éprouverait si elle se rendait compte qu'on l'avait épiée durant son sommeil avec son corps nu à la vue de tous...
"Vu la faible discrétion et délicatesse de la soldatesque moyenne de Luskan, je serais probablement contrainte de tous les tuer pour éviter que cela fasse les choux gras de toute la ville dès le lendemain..."
S'étirant sous sa couverture improvisée, sa peau nue et toujours douce malgré le dur traitement du lieu glissant sous le tissu finement brodé, elle acheva de se réveiller et inspecta la pénombre pour être sûre que personne ne l'observait.
Ses yeux désormais habitués à l'obscurité firent vite le point et, rassurée, elle se leva de sa couche miteuse.
Elle commença les quelques exercices physiques qu'elle s'astreignait à faire chaque jour pour entretenir sa forme au mieux, mais avec la plus grande discrétion.
"Ne pas faire le moindre bruit. Ne pas attirer l'attention.
Je ne dois surtout pas les réveiller"
Le réveil des autres durant ses exercices... sa seule véritable hantise en ce lieu.
Jennifer avait beau avoir affronté spectres et démons au cours de ses voyages, elle avait beau pouvoir regarder sans broncher un géant la charger, le regard des autres était la seule chose quelle craignait.
Défendre sa réputation, à tout prix.
C'est ce qu'on lui avait toujours enseigné...
Ses tuteurs, ses parents, son milieu et même de douloureuses expériences personnelles lui avaient appris que pour une personne de son milieu, rien n'est plus précieux que la réputation.
"Je ne tiens vraiment pas à devoir faire une hécatombe ici.
En plus j'ai horreur de tuer des gens..."
Elle regretta un instant de ne pouvoir faire ses exercices habillée, mais elle savait que si elle se livrait à des exercices physiques dans la seule tenue à laquelle elle avait accès ici, dans moins d'une poignée de jours, elle sentirait aussi mauvais que les autres résidants, avec leurs relents de vieille sueur et de crasse, même si elle utilisait sa ration d'eau le mieux possible pour sa toilette matinale.
Finissant ses assouplissements, elle entreprit justement d'utiliser celle-ci pour se débarbouiller et se nettoyer au mieux.
Les mèches de sa superbe chevelure rousse se rebellaient facilement le matin et il lui fallait toujours un long moment pour les discipliner en l'absence d'ustensiles adéquats -un simple peigne aurait été le bienvenu-, mais elle y parvint quand même quelques minutes avant que la relève arrive.
Elle eût tout juste le temps d'enfiler sous-vêtements et robe et de lisser cette dernière que le garde de jour arrive.
Commençant sa première ronde, il la trouva assise, arborant un port impeccable et altier, affichant une tenue irréprochable et un air plus que séduisant.
La vision de sa silhouette, contraste plus qu'extrême avec le lieu où ils se trouvaient, le surpris à tel point qu'il s'arrêta net.
"C'est un nouveau... je ne l'ai encore jamais vu ici.
Probablement un garde qui a déjà travaillé ici auparavant et qu'on a renvoyé s'occuper de la tâche ingrate de surveillance des prisonniers en punition une bévue quelconque. Il sait ce qu'on trouve dans ces cellules d'ordinaire, et ne s'attendait probablement pas à quelqu'un comme moi par le fait..."
Elle se composa un sourire de circonstance, calme et poli, et goûta avec délectation, sans toutefois le laisser transparaître, à la mine consterné du nouveau face à son attitude.
Pas qu'elle se moqua de lui, bien au contraire, mais qu'elle apprécia la distraction imprévue qu'il apportait, dans ce lieu où cela était une denrée plus que rare.
Elle le vit tourner les talons et intercepter le garde de nuit qui était sur le départ pour l'interroger quand à sa personne.
Celui-ci était un ancien qui était déjà là le jour de son incarcération... Un vieux soldat qui trouvait sans doute plus confortable un poste où la majorité du temps était consacré à rester assis tranquillement que le temps passe qu'à courir les rues pour y combattre le crime et la délinquance et qui lui répondit d'un ton blasé qui la fit sourire, mais de contentement cette fois...
"Oh, c'est Dame James... Elle est toujours comme ça."
Qu'on l'appelle encore "Dame" après plus d'une semaine d'emprisonnement la rassurait sur l'utilité de ses efforts quotidiens.
Patiemment, elle attendit que le garde de jour reprenne sa ronde après avoir copieusement interrogé le vieux surveillant et lui fit à nouveau un sourire serein quand il repassa devant elle pour lui déposer son petit-déjeuner succinct.
Un peu intimidé mais ne voulant par le montrer, il se contenta de détourner la tête en bougonnant...
"Sans doute un gentil garçon, d'ordinaire... Mais on ne peut pas s'attendre à le voir sourire aux détenus.
Après un blâme, sympathiser avec une personne sous le coup d'une inculpation ne serait certainement pas le meilleur moyen d'arranger ses affaires..."
Elle n'avait rien contre les gardes de Luskan.
Même si c'étaient eux qui l'avaient enfermée ici, ils ne faisaient que leur travail.
Pour maintenir l'ordre dans une grande ville, il faut des lois et des gens pour la faire respecter.
La loi ne s'accommodait juste que très mal avec les "cas exceptionnels" n'ayant rien de répréhensible dans l'absolu mais enfreignant sa lettre...
Elle avait été ainsi arrêtée alors qu'elle s'apprêtait à copieusement faire payer une espèce de brute épaisse lui ayant publiquement manqué de respect et ayant porté une sévère atteinte à sa fierté.
Respirant calmement, elle s'efforça, tandis qu'elle avalait sa nourriture, de se remémorer la scène dans ses moindres détails, sans la moindre atténuation ou exagération.
Ne rien oublier et ne rien inventer quand aux évènements qui l'avaient menée là serait très important quand elle sortirait... Car les représailles n'avaient été que suspendues par l'action des gardes, en aucun cas annulées.
Après tout, c'était une question d'honneur.
Quand elle eût fini, après une ou deux heures, de faire travailler sa mémoire sur la question, elle entama avec application divers exercices mentaux destinés autant à entretenir ses facultés mentales au cas où son enfermement durait longtemps qu'à éviter de trop ressasser des idées noires.
En prison, l'excès de pensées est votre pire ennemi... Dans un lieu où aucune distraction ne peut interrompre vos réflexions, où nulle chose ne se produit pour vous donner de l'espoir, où tout ce qui est visible n'est que pourriture, enfermement et déchéance, trop penser peut vous conduire très vite au désespoir.
Pour Jennifer, cela non plus n'était pas acceptable.
"Mon professeur de maintien m'avait fait passer des heures entières, presque nue, debout dans la neige en plein hiver, sans manger ni boire et en me donnant des coups de canne à chaque fois que j'affaissais d'un millimètre mes épaules, faisait la moindre grimace, affichait le moindre frisson ou même seulement cillait du regard.
Une Dame ne doit jamais faiblir.
Une Dame ne doit jamais se départir de sa prestance.
C'est ce que j'ai appris... C'est la façon que je connais de vivre.
La seule.
Je serais peut-être libérée demain... où peut-être dans plusieures années.
Pour moi, cela ne change rien: J'attendrais le temps qu'il faudra.
Si je renonçais... Je ne serais plus Jennifer James."
L'après-midi était consacrée à un autre type d'activité...
La préparation.
Mettre à profit le temps disponible de ses journées pour préparer la vengeance avait pour avantage à la fois de trop penser aux choses futiles et de gagner du temps sur ce qu'il y aurait à faire une fois sortie.
Elle avait impatience de passer à autre chose, une fois toute cette sordide affaire terminée...
Elle se concentra sur les signes qu'elle avait tracés au fil des jours dans la poussière d'un coin de sa cellule à l'aide d'une paille issue de sa couche de fortune...
Des signes qu'elles connaissait par coeur, mais qu'elle continuait à poser par écrit tant pour être sûre de ne rien oublier que pour entretenir sa calligraphie et qui étaient autant de runes, de signes cabalistiques et d'annotations codées décrivant une malédiction qu'elle essayait de mettre au point de son mieux.
Jennifer sourit en relisant certains passages.
Les heures de travail sur tout cela commençaient à vraiment payer.
Elle n'était pas mage de formation et n'ayant pas accès aux bibliothèques magiques de la région pour le moment, gommer les défauts de la formule lui prenait un temps considérable...
"Mais du temps, j'en ai... et plutôt deux fois qu'une!"
Travaillant avec concentration et discrétion, exercice auquel elle commençait à exceller après tant d'heures passées ici, elle effaça un triplet de runes dans le troisième euclaste de la formule pour le remplacer par un autre plus adapté.
Il fallait que la malédiction marche du premier coup, elle n'aurait pas de seconde chance.
"Mon adversaire fait plus de deux mètres. Ses biceps sont aussi larges que ma tête et il semble qu'il ait des connaissances en combat rapproché...
S'il me met la main dessus avant que j'ai fini d'incanter, je suis faite: Soit il me tuera sans difficulté, soit il m'humiliera une fois de plus et j'aurais tout à refaire depuis le début, avec encore plus d'offenses à laver de mon nom.
Pas question d'avoir traversé cette incarcération pour en arriver là... Le sort doit prendre du premier coup!"
La fin d'après-midi survint avant qu'elle décide de cela suffisait pour la journée...
Le garde de jour était passé plusieures fois, mais sans bien sûr réellement comprendre à quoi elle occupait le plus clair de son temps...
"Quand bien même le saurait-il, je n'enfreins aucune règle.
Aucune loi de Luskan n'interdit la conception de sorts... même à l'intérieur même de ses geôles.
Mais je préfère ne pas courir le risque qu'on sache à l'extérieur que je travaille sur ce genre de chose... L'effet de surprise est un atout précieux."
Elle mangea son dîner machinalement tout en hésitant sur deux variations de protections envers les sorts de dissipation à intégrer dans son projet et fini tranquillement la soirée par quelques méditations philosophiques sur l'ironie de sa situation.
Juste avant de se coucher, elle sortit de sa poche une pièce d'argent usée et s'en servit pour graver un trait sur le mur, juste à coté de neuf autres, tracés lors des soirs précédents...
"Déjà dix jours... Seulement dix jours...
Cela me semble une éternité que je suis ici, et en même temps, j'ai l'impression que leur offense ne date que d'hier.
Je perds la notion et la mesure du temps, même malgré ce décompte, à force d'être enfermée ici.
J'ai constamment faim et froid, j'ai de plus en plus de mal à me rappeler la couleur du le ciel, et j'ignore même complètement combien de temps j'arriverais encore à tenir mes vêtements propres...
Quand on se décidera à me laisser sortir, je serais peut-être maigre, vieille, aveugle et en haillons... Mais une chose est sûre: si quelqu'un ne leur a pas planté une lame à travers le corps pour leur faire payer leur façon d'agir envers autrui et qu'ils sont encore en vie au moment de ma libération, moi je me chargerais de leur apprendre le respect dû aux Dames.
Ils n'imaginent pas encore ce qui va leur tomber dessus..."
Un sourire se dessina sur les lèvres de Jenny... sauvage et prédateur.
"...et plus cela arrivera tard, plus cela leur fera mal."