Le carnet de Valène

*Valène note dans son journal son quotidien, ses doutes et ses joies*


Les rues de Luskan sont froides le soir, j’avais dans l’idée de sortir, souffler un peu, respirer l’air de la nuit, alors j’ai commencé à marcher sur les pavés humides.
Ca fait deux semaines que je suis arrivé d’Arbrelfique, la personne que je fuis finira bien par me trouver. En attendant je profite même s’il est rare de faire des rencontres ici.
Pourtant ce soir, j’ai rencontré quelqu’un… il était seul, sur une place surélevée, il regardait la ville. Alors j’ai hésité puis j’ai lancé la conversation, comme ça, par dépit, pour me donner l’illusion d’être normale. L’homme m’a répondu, sans se retourner, et nous avons discuté un moment.
Quelles étaient ses paroles déjà ? Il a dit que j’avais une tristesse en moi… suis-je donc si transparente ?
J’étais hésitante, je bredouillais, je ne suis décidément pas très à l’aise avec les gens, il m’a dit que ça lui plaisait. Je ne sais jamais quoi répondre dans cette situation, alors je n’ai rien dit, je lui ai juste dit mon nom puis je me suis éclipsé discrètement dans la nuit. Il ne m’a pas regardé une seule fois comme si cela lui était inutile, comme s'il me connaissait depuis longtemps. J'aurais dû rester... J'aurais au moins pu connaître une personne dans cette fichue ville, qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?
Je ne sais même pas comment il s'appelle.
Mon Dieu, que les rues de Luskan sont froides…

*Valène est chez Garfaux, elle écrit au coin du feu*

Cher Journal…
*raye*
Bien aimé confident…
*gribouille*
*souffle*
*se lance directement*

… Je n’ai toujours pas trouvé la société des livres et parchemins, personne ne semble en connaître l’existence ici, tant pis…

J’ai eu le temps de voyager depuis que je suis ici, je suis retourné à Port Llast avec Ciaross, que de souffrances en ce lieu… Par Séhanine, comment cela a-t’il pu se faire ? La ville est dévastée, la mort et le silence y règne en maîtres. Je dois y retourner, peut-être serais-je utile à quelque chose là-bas…
Shalaer me disait souvent que seule la souffrance des êtres donne une idée du néant, je crois que je commence à comprendre ses paroles. J’ai d’ailleurs raconté son histoire avec les sept cheveux de nymphe, Alanos et Ciaross y ont-ils cru ? En tout cas ils ont l’air d’avoir apprécié…

Pas de nouvelles d’Aluar, ce fou doit me chercher dans tout le Cormanthor, pourvu qu’il y reste…

Ciaross m’a parlé d’une certaine Shea, elle vit une terrible déception, j’aimerais la voir, ça pourrait faire une bonne histoire… qui sait ?

*Valène dans une chambre de l’auberge de Garfaux, fiévreuse et blessée*


…Que m’est-il arrivée ? Je n’en sais rien… je me suis réveillée ce matin près d’un lac, dans ma bouche un goût de terre et de sang et les herbes piquant mon visage. Des bribes de conversation parvenaient mollement jusqu’à mes oreilles…
- Qui est-ce ?... folle ... meurtre…jolie…
Dans un effort dont je ne me croyais pas capable, je réussis à me retourner, passant du vert au bleu, de l’herbe au ciel. Le ciel immense et merveilleux, jamais je ne l’ai trouvé aussi beau qu’en cet instant… un visage s’approcha de moi…
- Alors bel enfant… on revient de loin ?
L’inconnu m’offrit son plus beau sourire malgré sa dentition douteuse. Un autre en robe grise et sale le poussa à s’éloigner de moi.
- Je suis Eloi, prêtre d’Ilmater, nous allons nous occuper de vous…
S’occuper de moi, voilà une bonne idée pensai-je… Puis la nuit reprit ses droits sur moi.

Une chambre, chez Garfaux, les draps sont couverts de sang séché, noirci.
Par la déesse, mon visage… il est comme une ville en ruines…
La chambre est tout juste éclairée par quelques bougies éparses. Le seul miroir à disposition est sale, usé, déformé. Certaines parties ne reflètent plus mais je ne peux me tromper sur ce que je vois.
J’ai mis une demi-heure à enlever ma chemise, je veux voir mon dos, j’ai l’impression qu’un millier de lances s’abattent sur lui chaque minute. Je veux voir mon dos dans le miroir, et ce que je vois est bien réel… Un soleil, un soleil que l’on a dessiné en brûlant ma peau, un soleil noir, symbole d’un dieu dont je ne peux dire le nom…
Comme j’aimerais que ma vie s’arrête là, comme j’aimerais que tout s’arrête, que les gens s’arrêtent de marcher, que l’eau s’arrête de couler, et que plus aucune parole ne soit jamais prononcée…
Retrouverais-je la force de continuer ?
Il le faut bien… oui, il le faut bien…