Ils ressemblaient à deux arcanistes. Ils semblaient être un couple d'amants, d'amis, de compagnons de route. Personne à Lunargent n'avait su le dire. Et maintenant qu'ils étaient loin ? Les rares personnes les ayant aperçus durant leur halte dans la ville resteraient intriguées.
Par une aube magnifique ils avaient attelé leurs montures et s'étaient éloignés dans un silence lourd ? Respectueux ? Nécessaire ? Une sorte de mystère planait mais personne ne posa de questions.
L'allure des deux chevaux noirs ébène était constante, rapide la plupart du temps, lente lorsqu'ils avaient besoin de repos et de restauration. Le couple en profitait pour les laisser et allaient plus loin, main dans la main. L'homme expliquait presque dans des murmures les différents endroits à la jeune femme qui, visiblement, ne connaissait pas cette région. Une fois de retour à cheval, le silence des mots revenait pour ne laisser uniquement entendre les bruits des sabots.
S'arrêtant pour la nuit, les deux chevaux pansés avec soins par la jeune sorcière et attachés solidement par son compagnon, ils allumèrent un feu, sortirent une couverture et parlèrent calmement mais longuement. Tous leur soucis furent abordés sans exception.
[...]
Pas une larme ne fut versée, pas de mot plus haut qu'un autre ne fut prononcé. Ils ne dormirent pas cette nuit là, mais bien que tous les problèmes trouvèrent une solution, un seul persistait et ne pourrait être solutionné que lorsqu'ils seront de retour. Cette même nuit, alors que les lueurs du jour apparaissaient, elle écrivit une lettre, la montra à son compagnon et la rangea dans ses affaires.
L'heure du départ avait sonné et la route défilait à nouveau sous les sabots des montures. Dans la journée ils parvinrent en Anauroch. Climat désertique dur à supporter pour la sorcière qui avait toujours le visage encapuchonné et caché par ses éternels foulards. Les chevaux ralentirent leur course, économisant leurs ressources en eau. Après de longues heures ils arrivèrent près d'un grand oasis, au pied d’une immense montagne rocheuse. L'homme prit une grande inspiration, il était tendu et incertain. Il posa pied à terre et demanda à voir Séléa de Sombresonge. L'angoisse aussi se ressentait chez la jeune femme qui n'osait descendre de Myrtille, son cheval. Mortespoir, malgré mon appréhension, s'approcha d'elle, la prit par la taille, la souleva et la posa à terre. Sa main rencontra la sienne et Maelle ne la lâcha plus.
Séléa de Sombresonge n’était plus que l’ombre d’elle-même, et ce depuis le jour funeste qui vit l’oblitération de Myrkul. Native de Calimshan, elle avait un teint mat et de grands yeux noirs ensorcelants, un charme fou pour une simple magicienne du sud. Un concours des circonstances fit qu’elle dû quitter sa contrée natale, pour se retrouver a errer dans les ruelles d’Eauprofonde, avec pour seule compagne l’amertume, et le souvenir douloureux qui l’avait arraché de son foyer. C’est exactement cette amertume que le Clergé de Myrkul utilisa. Honorias de Sombresonge rencontra la magicienne sur le marché, alors qu’elle détournait l’attention des badauds pour leur voler leur bourse. Le riche prêtre se prit, pour on ne sait quelle raison, d’affection pour la magicienne. Séléa ne tarda pas à devenir Nécromancienne et Haute Prêtresse du culte Myrkulite, ainsi que Matriarche d’une famille de la petite noblesse d’Eauprofonde.
Mais a présent, de son ancienne fierté, il ne restait plus rien. Comme son fils, elle avait tout perdu. Son teint mat était devenu gris, et ses grands yeux noirs étaient a présent illuminés d’une lueur rouge. L’âge avait de plus commencé a ravager son doux visage, ses cheveux blancs tombant en cascade sur ses épaules… Mais en plus de cela, il fallait a présent ajouter la maladie qui l’affligeait : d’immenses cernes s’étendaient sous ses yeux, son expression montrait toute la fatigue qui l’envahissait… On la voyait a peine, affalée dans les coussins qui lui servaient de couche a l’intérieur de la tente où elle logeait, tente ornée de divers souvenirs de son ancienne vie : écus de la famille de Sombresonge, divers objets de cultes et ingrédients magiques égayaient l’intérieur…
L’accueil ne fut pas des plus chaleureux. Mortespoir s’y attendait, et pas seulement a cause de la maladie… Lui en voudrait-elle encore pour son départ… précipité ?
-Thénéas, bougre d’imbécile, tu es encore en vie… J’aurais mieux fait de te tuer il y a six ans, quand tu es partis, ça m’aurait épargné ce ‘retour’…
De toute évidence oui. Hé bien, les choses s’annonçaient plutôt difficile : même mourante, la vieille Séléa ne perdait rien de son verbe accéré. La discussion fut en vérité assez mouvementée, mais Mortespoir savait encore comment s’y prendre pour calmer la vieille nécromancienne… Et finalement la discussion se fit plus posée, alors que Mortespoir racontait ses périples et que Maelle restait plutôt silencieuse. Le regard de Séléa se posa alors sur elle.
« -Qui est-ce ?
-Le Maître Draconis Maelle, Mère.
-Une ensorceleuse ? »
La vieille nécromancienne était visiblement choquée… L’éternel affrontement entre les mages et les ensorceleurs qui refaisait surface…
« -Qu’elle ôte son foulard, déjà… »
Devant le regard plutôt insistant du prêtre de Myrkul et de la Matriarche mourante de l’agonisante famille de Sombresonge, Maelle s’exécuta. Séléa marmonna, non sans continuer a fixer Maelle, le regard inquisiteur.
« -Grmbl… Elle est belle, c’est déjà ça…
-Mère, elle va porter notre nom…
-Et alors… ?
-Hé bien, les traditions, vous le savez… Il faut l’accord de la matriarche et du patriarche de la famille pour ce genre de chose…
-Ha ! La tradition. Tu auras toujours les mêmes tares que ton père. Malheureusement tu es loin d’avoir ses qualités. Est-elle croyante ?
-Oui. »
Un lourd silence se fit. Séléa finit par accepter l’union du jeune couple – union faite selon les traditions familiales : une simple bénédiction de la part du plus vieux membre de la famille. Puis, après d’autres commentaires désobligeants sur les deux jeunes gens, Séléa leur intima de la laisser méditer en paix…
Maelle de Sombresonge, mariée à Mortespoir de Sombresonge. Jade ... Thénéas ... Elle était là, près d'un feu, pensant à son retour. A l'épreuve qu'il lui restait à affronter. Elle avait choisit, elle aurait des regrets comme elle l'avait dit la nuit précédente. Elle paya un homme, lui donna la lettre écrite la veille et le coursier prit la route que les nouveaux époux prendront dans quelques jours lors de leur retour dans la région du Val de Bise.
Le deuxième jour dans l'oasis, ils se réveillèrent et Mortespoir prit Maelle par la main et s'agenouilla. Elle tremblait légèrement mais le suivit et commença une prière. Il n'attendait que ses phrases pour continuer à son tour. La jeune sorcière resta à genoux de longues minutes après la fin de la prière. Mortespoir s'était relevé et la regardait, un franc sourire aux lèvres. Elle avait retrouvé l'éclat de celle qu'il avait connu un jour à l'auberge de Luskan. Elle rayonnait, même si il décelait une pointe de tristesse dans ses yeux, mais il savait qu'avec le temps cela disparaîtrait.
Elle continua de prier donc. Puis sentant le regard de son mari posé sur elle, elle finit par se relever, apaisée.
Mortespoir retourna au chevet de sa mère. Maelle n'y allait pas, Séléa ne l'appréciait guère cela se lisait dans son regard. En fait, elle semblait n’apprécier personne. Pourtant elle lui avait autorisé de porter le nom des Sombresonge et la jeune femme ne comprenait pas pourquoi.
A la fin de la journée, alors que le soleil venait juste de se coucher, Mortespoir vint voir Maelle, le visage neutre comme à son habitude en lui disant que sa mère venait de succomber, qu'elle avait rendu son dernier souffle de vie, qu’elle avait cédé a l’étrange maladie qui la frappait. Et que nul ne savait vraiment ce qui l’avait atteint.
Un homme, que Maelle n'avait pas encore aperçut dans l'oasis, s'approcha du couple. Mortespoir le regarda quelques longues secondes avant de le saluer. Il le présenta à Maelle, Aledar, son ancien Maître d'Armes. Elle s'éclipsa ensuite, les laissant discuter. Elle se sentait de trop, gênante. Elle savait qu'elle ne le reverrait sûrement jamais alors elle était polie mais très distante. Après des heures de conversation, Mortespoir vint s'allonger aux côtés de sa femme pour débuter avec elle une nuit passionnée telle qu'elles auraient toujours dû être. Le couple se retrouvait ... C'était nécessaire à leur futur.
Le troisième jour, les funérailles furent préparées, les prières et litanies récitées, la cérémonie célébrée. Mortespoir montrait un éternel visage neutre. Maelle, restant en retrait, espérait qu'il lui parlerait de ses véritables sentiments plus tard. Voir si il mettait en pratique ce qu'elle lui avait demandé. Après avoir encore une fois échangé quelques mots avec Adelar, Mortespoir allait chercher Maelle pour qu’ils prient son dieu. Leur dieu. Le soir, il lui annonça qu'ils partiraient le lendemain, à une allure beaucoup plus modérée. Après tout, le temps ne pressait plus dorénavant. Elle alla panser les chevaux, refusant que quiconque touche à Myrtille, le premier présent que Mortespoir lui avait offert, et Phidias.
Le lendemain donc ils prirent la route du retour, s'éloignant de l'oasis alors que l'aube se reflétait sur le poil soyeux des montures qui marchaient au pas. Ils discutaient, Mortespoir parlait de ses souvenirs d'enfance, de son apprentissage de prêtre de Myrkul aux côtés de son père, de la mort de Myrkul et de son long voyage avec sa mère. Maelle écoutait, puis à la fin de son récit lui dit qu'à leur retour à Luskan elle lui parlera à son tour de son passé mais pas avant ...
Le voyage retour se passa sur plusieurs jours. Mortespoir prenant le temps de lui raconter diverses anecdotes sur les différents endroits dans lesquels ils passaient ... Puis ils arrivèrent à Mirabar, Maelle appréhendait le retour à Luskan mais elle était mariée à présent, elle devait y penser. Ainsi, prenant une nuit de repos à l'auberge du Cheval Gris il la rassura. Il serait présent à ses côtés et il la soutiendrait quoi qu'il arrive.
Le lendemain ... Ils quittèrent Mirabar et virent Luskan se profiler à l'horizon.