Recommencement.
Voilà, c’est reparti. Nouveau départ, nouvelle ville, nouveaux contrats. Mell resserre les sangles de son harnois, replace son bouclier dans son dos, vérifie que sa lame est bien à son côté, prend son sac sur son épaule. Destination : Luskan. Après tout, n’est ce pas la ville la plus cosmopolite de la région ?
Les gens des villages ont toujours besoin de petites mains pour régler certains de leur problème. Mais eux n’ont jamais de quoi payer beaucoup. Enfin ils offrent au moins la nourriture et le logement. Il y a les autorités locales également. Mais souvent ils ont leur propre milice, c’est plus rare de travailler avec eux. Il y a les clergés aussi qui sont demandeurs. Pas tous bien sûr. Seulement pour les basses besognes, quand ils ne veulent pas se mouiller ou salir leur image. Là, ils apprécient particulièrement les mercenaires solitaires que personne ne connaît dans le coin. Quant à ceux qui parlent d’agir pour le bien d’autrui, c’est bien beau mais ça paye rien.
Dans tous les cas, surtout il ne faut pas poser de questions. C’est la règle numéro 1. Ne jamais poser de questions. On prend le contrat, on règle les détails, on exécute, on prend la paie et on repart. De toute façon, mieux vaut ne pas savoir dans quel grand projet s’inscrivent certains contrats.
Règle numéro 2 : ne surtout jamais poser de questions. C’est peut être bête, mais il y a des choses qu’il vaut mieux se répéter plusieurs fois pour ne pas risquer de les oublier.
Règle numéro 3 : toujours terminer un contrat. Si la tâche ne peut être accomplie pour une raison ou une autre, ne pas se faire payer.
Règle numéro 4 : n’avoir confiance en personne.
Règle numéro 5 : privilégier sa propre vie.
Toujours la même chose. Toujours les mêmes règles. Toujours les mêmes gestes. Toujours le même recommencement.
Il est bien loin le temps de la ferme, des leçons d’apprentissage de Maelvin. Aaah ce vieux briscard devenu bandit de grand chemin, qui avait déboulé ensanglanté et épuisé dans notre propriété une nuit de printemps. Je l’aimais bien, surtout ses histoires d’aventures qu’il me racontait. Il nous avait bien aidé à la ferme en dédommagement. J’ai beaucoup appris de lui finalement. Comment me défaire d’une serrure résistante, déchiffrer les symboles des parchemins magiques, comment manier l’épée… Enfin juste les balbutiements. J’aurais terminé cet apprentissage sur le terrain, quand j’ai voulu le suivre sur ses pas le jour où il repartit sans nous dire au revoir et en nous dépouillant au passage de nos quelques biens de valeur. Ensuite ce fut la bataille pour survivre, puis c’est devenu un moyen de vivre, l’unique raison de vivre même.
Mell poussa un soupir en se remémorant ces évènements. Elle ne se doutait pas encore de ce qui l’attendrait en arrivant à Luskan. De nouveaux contrats, de nouvelles batailles peut-être, ou rien de tout cela…
Après plusieurs jours de marche, les portes de la cité des voiles apparaissent dans le brouillard. Fin de ce voyage. S’installer à l’auberge du coin, se rencarder sur les évènements du moment, sur les personnes influentes, les susceptibles donneurs de contrats, et voir où il sera possible de créer le besoin en jouant avec les paroles et les idées. L’art de manier les mots, quel pouvoir ! Ce n’est pas la meilleure dans ce domaine, elle le sait. Mais ça lui ouvre déjà certaines portes.